« L’Astragale », second souffle

1539

50 ans ont passé depuis la publication du roman d’Albertine Sarrazin.
L’oeuvre n’est pas tombée en désuétude : l’époque transparaît mais
ses problématiques sont toujours à l’ordre du jour. Cette adaptation en roman graphique, talentueuse et sensible, est un beau prétexte pour lire et relire Sarrazin…

Littéraire et pourtant cru, mordant, le style d’Albertine
Sarrazin crée une voix singulière
pour évoquer la passion et la liberté,
mais aussi la cavale et la prostitution.

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Autobiographique, L’Astragale débute
par l’évasion d’Anne d’une maison de
correction pour mineures. Elle se brise
alors l’astragale, petit os de la cheville,
avant d’être recueillie par le mystérieux
Julien, qui fuit la justice autant qu’elle.

Très vite, elle devient dépendante de
cet homme que l’on devine instable et
manipulateur, mais amoureux d’elle.
Anne a un passé torturé : on
comprend derrière ses mots le viol
qu’elle a subi enfant, la difficulté de ses
rapports avec les hommes. Démunie,
seule, elle se prostitue : les gens ne
me retiennent point, car je n’ai plus qu’à
leur proposer que moi, moi nue (…) Je
n’aime pas le trottoir et je ne suis pas plus
pute qu’autre chose. J’emploie ce moyen
parce qu’il est rapide, qu’il ne nécessite ni
horaires ni apprentissage…
. La jeune
fille finira son histoire là où elle l’a
commencée, les menottes aux poignets,
à rêver d’évasion.

En 2013, le roman est adapté en
bande dessinée par Anne-Caroline
Pandolfo et Terkel Risbjerg, dans une
réalisation très fidèle, suivant scrupuleusement
sa chronologie. Un
choix qui aurait pu s’avérer plat si les
dessins n’avaient pas si bien capté l’essence
même de l’écriture d’Albertine
Sarrazin, la langueur des jours d’été
que l’héroïne passe cachée à attendre
Julien, la puissance de la violence
qu’elle subit sans pour autant jamais
véritablement flancher.

Le graphisme en noir et blanc
joue sur les contrastes pour accentuer
la dureté des mauvais jours,
sombres dans leurs bulles tandis que
les moments de bonheur sont représentés
clairs et épurés : Je voudrais
rester ainsi, stagnante, tiède, dans le
silence où s’élèvent seules nos respirations
régulières, sans plus devoir faire les
gestes, dire les mots qui nous échangent
et nous trahissent…
.

Une modernisation
réussie où souffle l’esprit incisif et
poétique de l’oeuvre originale.