Prostitution

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La prostitution ou plutôt le système prostitutionnel, est un système de domination et d’exploitation de personnes humaines, en grande majorité des femmes et des enfants, dans lequel des hommes, les « clients » prostitueurs sont les agresseurs, s’arrogent un droit l’accès sexuel à leur corps en échange d’une rémunération. Face à la demande de ces prostitueurs, des proxénètes et trafiquants d’êtres humains organisent l’exploitation des victimes pour en tirer profit.

La prostitution, un système d’exploitation et de violences

prostitution-violence-faite-femmesCe système est fortement ancré dans les mentalités comme dans les structures économiques. Les intérêts traditionnels du patriarcat y rencontre aujourd’hui ceux du grand marché libéral tant les profits à en tirer sont considérables.

On entre rarement dans la prostitution par hasard. La précarité et la vulnérabilité sont des facteurs déterminants d’entrée et de maintien dans la prostitution.

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La prostitution est un univers marqué par des violences d’une extrême gravité et des séquelles psychologiques et physiologiques majeures. Elle est aujourd’hui considérée comme une violence en soi, plus précisément une violence faite aux femmes. (source: gouvernement)

Les violences sont omniprésentes dans le parcours des personnes concernées avant, pendant et après la prostitution.

« Il y a des viols, des agressions. Mais on ne dit rien, on s’arrange pour montrer qu’on sait gérer. J’avais peur tout le temps, tous les jours ».

— Carole, Prostitution et société n°181

Avant la prostitution

Violences subies avant l’entrée en prostitution, violences sexuelles, violences intrafamiliales, violences conjugales,  sont extrêmement fréquentes, voire systématiques. En mettant à mal la construction de l’estime de soi, elles constituent un facteur de risque prostitutionnel. Cette moindre estime de soi, souvent liée à une dévalorisation, qu’exploitent les proxénètes, experts dans le repérage (de plus en plus sur les réseaux sociaux). La vulnérabilité de la personne leur permet d’exercer facilement leur emprise et leur manipulation.

Pendant la prostitution

Les associations de terrain rapportent qu’une forte majorité de personnes prostituées sont victimes de proxénétisme (petit ou grand réseau, proxénétisme conjugal) ou de traite des êtres humains. La violence vient d’abord de ceux et celles qui exploitent les personnes prostituées, que ce soit pour leur profit sexuel ou financier.

Les « clients » prostitueurs sont à la fois sources et acteurs de cette violence : sans leur demande, pas de système prostitutionnel. Premiers agresseurs des personnes prostituées, ils peuvent leur faire subir insultes, humiliations, agressions, et même meurtres. Les féminicides prostitutionnels sont majoritairement de leur fait.

De leur côté, proxénètes et trafiquants soumettent leurs victimes à la violence pour les maintenir dans une emprise totale : violences physiques, menaces, viols systématiques pour « dresser » la victime, des corps tatoués de force pour signifier l’appartenance au réseau ou au proxénète, menaces de représailles sur les familles. Mais aussi, plus insidieusement, violences psychologiques et manipulations.

Une violence en soi

La violence de la prostitution ne réside pas seulement dans ses conditions d’exercice. Elle est inhérente à l’acte prostitutionnel.

« Avoir à subir un acte sexuel qui n’est pas désiré en échange d’argent, ça revient à ce que l’on appelle en termes médicaux, une ‘effraction corporelle à caractère sexuel’ qui, en fait, est l’équivalent d’un viol et a les mêmes conséquences que le viol, que ce soit sur les enfants, les adolescents ou les adultes ».

— Judith trinquart, médecin légiste

Après la prostitution

La violence vécue dans la prostitution l’acte lui-même ont de lourdes conséquences pour les personnes prostituées qui souffrent de séquelles psychiques (répétition de traumatismes anciens, dissociation, stress post-traumatique, anxiété, dépression etc) et physiques (blessures, handicaps, meurtres, infections, grossesses non désirées, etc). Elles sont encore largement ignorées, car non dites par les personnes concernées, encore trop souvent réduites au silence par la honte ou les menaces.

La prostitution, un obstacle à l’égalité entre les femmes et les hommes

prositutionAcheter des êtres humains, notamment des femmes, pour du sexe, est un des des derniers verrous de la domination masculine. A cet égard, les chiffres parlent : si 85% des personnes en situation de prostitution sont des femmes, (10% des hommes, 5% des personnes trans), la quasi totalité des « clients » prostitueurs sont des hommes. Dans les stages de sensibilisation à l’achat d’acte sexuel, 100% sur les plusieurs centaines de personnes sensibilisées sont des hommes.

Elle s’inscrit dans le continuum des violences faites aux femmes : les victimes ont la plupart du temps subi des violences sexuelles, physiques et psychologiques avant l’entrée dans la prostitution. Elle peut également être une forme de la violence conjugale, on parle alors de proxénétisme conjugal. C’est un cas de figure extrêmement fréquent.

La prostitution, verrou de la domination masculine

L’imaginaire collectif autour de la prostitution témoigne d’un rapport de domination et de pouvoir : le désir de l’homme est roi et les femmes prostituées seraient des femmes objets, vénales, qui consentiraient à leur soumission ; la prostitution, « le plus vieux métier du monde », serait aujourd’hui, dans la société capitaliste libérale « libre et choisie ».

Ces représentations banalisent et invisibilisent la violence inhérente à la prostitution. À l’ère #Metoo, alors que toutes les violences sont une à une dénoncées, il reste une frange de la société, se disant féministe, qui s’allie aux voix les plus conservatrices pour tenter de conserver le « plus vieux droit de l’homme », celui de payer pour du sexe, sans avoir à se soucier du désir de la femme.

Les acteurs·ices de la prostitution

Le système prostitutionnel est un marché économique dont le produit vendu est l’accès à des personnes humaines pour du sexe. Dans ce marché, il y a des « clients », des proxénètes, des trafiquants d’êtres humains et des personnes prostituées.

1) Les agresseurs, « clients » de la prostitution

  • clients de la prostitutionLes « acheteurs » de sexe, légitimés et banalisés sous le nom de « clients », sont des prostitueurs. Ils s’estiment en droit d’acheter l’accès à une personne pour du sexe, sans se soucier de son désir à elle de sa situation et des contraintes qu’elle subitEn se dédouanant au moyen d’un billet, ils lui extorquent un consentement que dément l’existence même de l’échange d’argent (ou d’un avantage en nature). Ignorés pendant des siècles des analyses de la prostitution comme des lois qui la régissent, ils sont aujourd’hui nommés pour ce qu’ils sont : des agresseurs. C’est pourquoi dans des pays de plus en plus nombreux, la loi les pénalise en interdisant l’achat d’acte sexuel.

« Le mec paye, et donc il a le droit de faire ce qu’il veut ».

— Fiona, Prostitution et société

Les proxénètes et trafiquants d’êtres humains. De l’individu isolé au réseau criminel organisé international en passant par le petit réseau familial, ces criminels construisent leur business sur la « production », la vente et le trafic d’êtres humains destinés aux prostitueurs.

Ils choisissent leurs cibles – des personnes vulnérables, majoritairement des femmes et des enfants, issu·es des catégories de population les plus marginalisées et les plus précaires, qui ont le moins de possibilité de se défendre. Ils les « conditionnent », souvent par les coups et le viol, la destruction psychologique totale de l’estime de soi, à accepter d’être prostitué·es pour leur propre bénéfice.

2) Les victimes

Les personnes prostituées sont très majoritairement des femmes et des enfants, sont le « produit » vendu dans ce marché, où elles subissent de nombreuses violences et deviennent des objets que s’approprient les agresseurs.

Les femmes, qui représentent la très grande majorité des victimes à travers le monde, et qui sont, souvent dès l’adolescence voire l’enfance, les première cibles des proxénètes, et sont particulièrement recherchées par les « clients ».

Le système prostitutionnel se nourrit des situations de crise, personnelles et collectives, qui vulnérabilisent les personnes : crises affectives, abandons et ruptures, crises économiques et politiques, chômage, catastrophes naturelles, guerres, conflits, sont le meilleur terreau de recrutement pour les proxénètes et les trafiquants. L’idéologie du « travail du sexe », comme choix libre, voire émancipateur, est venue leur simplifier la tâche en normalisant cette forme d’exploitation.

Les survivantes de la prostitution

Une fois sorties de la prostitution, certaines femmes souhaitent porter la parole de celles qui ont été tuées, ou de celles qui y sont encore. Elles seules, peuvent parler librement des violences qu’elles ont subi. Elles ont à coeur de dénoncer l’idéologie du « travail du sexe », qui piège des jeunes femmes dans l’idée d’une prostitution qui pourrait être émancipatrice, voire féministe. Pour avoir osé parler, elles sont souvent victimes d’intimidations et de menaces de la part des lobbies de l’industrie du sexe.

Depuis plusieurs décennies, on parle de « mouvement des survivantes », qui sensibilisent à la réalité de ce système de domination et de violences, et plaident pour le modèle abolitionniste. En France, Rosen Hicher et Laurence Noëlle, ont lancé en 2013 un mouvement des survivantes. A l’international, SPACE Intl, fondé par Rachel Moran, survivante et journaliste irlandaise, réunit des survivantes du monde entier. 

« Laisser une minorité de femmes se prostituer, c’est accepter que toutes soient prostituables. »

— Rosen Hicher

« Dire que les hommes ont le droit de se vendre, c’est masquer le fait que les hommes ont le droit de les acheter. »

— Françoise héritier

La prostitution dans la loi

A travers l’histoire, trois grands modèles législatifs sur la prostitution ont été expérimentés.

  • Le prohibitionnisme, modèle le plus répandu à l’heure actuelle dans le monde, pénalise tous les acteurs du système. Proxénètes, personnes prostituées et « clients ». Mais en général, ce sont les victimes, les personnes en situation de prostitution, qui sont les première visées par ces lois. Les « clients » sont rarement inquiétés.
  • Le réglementarisme. Expérimenté dans l’Antiquité, il est surtout incarné par le modèle français du XIX » siècle, symbolisé par le bordel. Il s’agit de réglementer l’activité prostitutionnelle en imposant un fichage aux personnes prostituées, qui sont déclarées dans les « maisons closes » et doivent se plier à une surveillance étroite : contrôles de police et contrôles sanitaires.

Derrière ces lois règne un idéologie est hygiéniste, l’objectif étant « d’assainir les rues des villes » en enfermant les femmes dans les maisons closes, et en prétendant contenir les maladies vénériennes. Alors que la syphillis fait rage, seules les personnes prostituées sont tenues pour coupables. personne ne pense à incriminer les « clients » qui sont ceux qui portent les maladies au bordel.

Aujourd’hui, les pays réglementaristes les plus connus sont l’Allemagne, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande.

  •  L’abolitionnisme est né au XIXe siècle avec la militante féministe Josephine Butler. Fille d’un pasteur abolitionniste de l’esclavage, elle est la première à s’intéresser aux victimes, elle accueille chez elle et soigne des femmes prostituées qui souffrent de la syphillis. Elle est la première à déplorer que les « clients » ne soient jamais considérés comme des acteurs à part entière, ayant à répondre de leurs actes.

Elle mène une lutte acharnée contre les « lois sur les maladies contagieuses » qui tentent d’importer le modèle français dans l’Angleterre victorienne.

Depuis 1999 et l’adoption par la Suède d’une loi spécifique d’abolition de la prostitution, vue comme une violence faites aux femmes et un obstacle à l’égalité entre les femmes et les hommes, ce modèle se traduit dans la loi par :

  1. la dépénalisation totale des personnes en situation de prostitution,
  2. la pénalisation des « clients » prostitueurs, par l’interdiction d’un achat d’acte sexuel,
  3. Le renforcement de la pénalisation des proxénètes.

La loi de lutte visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel en France

prostitutionLa France a une position abolitionniste depuis 1960 et la ratification de la convention de l’ONU pour la répression de la traite des êtres humains et de l’​exploitation de la prostitution d’autrui (1949). Mais c’est seulement depuis la loi du 13 avril 2016 que dans les faits, cette position est effective.

La loi de 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées

Cette loi qui a été le fruit d’un long travail parlementaire (depuis le rapport Bousquet-Geoffroy en 2011 jusqu’à son adoption le 6 avril 2016), repose sur 4 piliers.

  1. La dépénalisation totale des personnes en situation de prostitution. Elle abolit le délit de racolage, qui avait été renforcé depuis 2003 par la loi de sécurité intérieure (dite « Sarkozy »). Elle reconnaît désormais les personnes prostituées comme victimes, et prévoit en outre des mesures d’accompagnement vers la sortie de prostitution, les « parcours de sortie ». Depuis 2016, plus de 500 personnes en ont bénéficié. Elle crée une circonstance aggravante de violence envers une personnes prostituées.
  2. Le renforcement de la lutte contre le proxénétisme : Création d’une obligation pour les fournisseurs d’accès à Internet d’informer promptement les autorités publiques compétentes de tout contenu violant la loi sur le proxénétisme et de rendre publics les moyens qu’elles consacrent à la lutte contre ces activités illicites.
  3. La prévention de la marchandisation des êtres humains la loi prévoit des séances de formation pour les travailleuses et travailleurs sociaux, et intègre la promotion des relations égalitaires entre femmes et hommes dans les séances d’éducation à la sexualité dispensées dans les établissements scolaires
  4. La création d’une infraction de recours à l’achat d’acte sexuel. La nouvelle infraction est une contravention de 5ème classe, punie d’une amende de 1500 euros. En cas de récidive, l’infraction est un délit puni de 3 750 euros d’amende. Elle crée une peine complémentaire consistant dans l’obligation d’accomplir un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels.

A lire également : Comprendre la loi de 2016

La prostitution en France

Selon l’enquête Prostcost réalisée par le Mouvement du Nid et le cabinet Psytel en 2015, il y a environ 37 000 personnes prostituées en France. Parmi elles, plus de 80% sont étrangères, victimes de la traite. 85% sont des femmes, 10% des hommes et 5% des personnes trans. Déjà en 2015, la prostitution négociée sur Internet est estimée à 62% de l’ensemble, 30% dans la rue, 8% « Indoor » (bar à hôtesses, salons de massage, appartements,etc.). Depuis le confinement en 2020, la part de la rue a fortement baissé.

Toujours selon l’étude Prostcost, le coût économique de la prostitution pour la société français est de 1,6 milliard d’euros annuels (coûts des violences subies, frais de santé, etc.).

A lire également : le résumé de l’étude Prostcost

Autres sites ressources :

  • CAP international. La Coalition pour l’abolition de la prostitution, constituée de 33 associations de terrain dans 28 pays, a été co-fondée en 2014 par le Mouvement du Nid. Elle vise à promouvoir le modèle abolitionniste dans les instances internationales et à soutenir les associations membres dans leurs actions de plaidoyer local.
  • Fondation Scelles. Partenaire du Mouvement du Nid, la Fondation Scelles publie notamment tous les 5 ans un rapport mondial sur l’exploitation sexuelle.
  • FACT-S : Fédération des acteurs et actrices de terrain et des survivantes aux côtés des personnes prostituées. Constitué de l’Amicale du Nid, le Mouvement du Nid, la Fondation Scelles et CAP international, FACT-S est présente dans plus du tiers des départements français et entre en contact avec 8 000 personnes prostituées chaque année.

A lire également : 30 arguments pour l’abolition

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