Un vote historique, des débats éclairés

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Les débats à l’Assemblée nationale, lors de l’examen de la proposition de loi contre le système prostitutionnel en décembre 2013, ont montré sans ambiguïté l’évolution des éluEs. La nostalgie des maisons closes et la résignation ont vécu. La prostitution est devenue un sujet politique à part entière. Les députéEs ont été à la hauteur du défi lancé par la ministre des droits des femmes, Najat Vallaud Belkacem : Ce n’est pas la fatalité qui fait les lois, mais vous.

Nous avons choisi quelques extraits marquants de leurs interventions…

Najat Vallaud Belkacem, ministre des droits des femmes

Annonce

Les «besoins irrépressibles des hommes» ? Cette expression revient comme l’ultime justification de la demande de certains d’une perpétuation du droit de cuissage. Nous ne sommes pas là pour faire la police des mœurs. Nous sommes là pour donner corps à nos principes les plus essentiels.

Maud Olivier, rapporteure de la Commission Spéciale pour l’examen de la proposition de loi

Dans une société où le corps des femmes peut constituer une marchandise, être vendu, loué, approprié par autrui, l’égalité entre les femmes et les hommes n’est pas possible. Dans une société où les hommes sont considérés comme des êtres dotés de pulsions sexuelles irrépressibles devant être assouvies, quand le désir et le plaisir ne sont pas partagés, l’égalité femmes-hommes n’est pas possible. Et là où l’égalité femmes-hommes n’existe pas, les violences faites aux femmes perdurent.

Alors, c’est bien en imposant le respect de l’intégrité du corps humain et le refus de sa marchandisation que nous pourrons éliminer durablement ces violences, dont la prostitution est l’expression la plus criante.

Catherine Coutelle, présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux Droits des Femmes

La prostitution est la dernière violence faite aux femmes que la loi ne reconnaît pas; notre travail consiste à inscrire la lutte contre cette violence dans la loi. Progressivement, nos sociétés ont interdit le droit de cuissage, le harcèlement, le viol. Il ne peut y avoir de droit sexuel masculin sur les femmes. Nous refusons qu’un rapport sexuel puisse être imposé par le pouvoir, la force ou l’argent.

Ces évolutions de notre société, on l’oublie, sont très récentes. Le viol conjugal n’a été reconnu que dans les années 1990, et la première loi consacrée aux violences conjugales date de 2006. Il a fallu du temps pour que notre société considère qu’il est de sa responsabilité de protéger l’ensemble des citoyens et citoyennes, que ce soit dans la sphère publique, au travail, dans la rue, ou dans la sphère privée, dans la famille, au sein du couple. Il n’y a pas de permis de tuer, de violer, de violenter, d’imposer un rapport sexuel, sous prétexte que cela aurait lieu dans la sphère privée.

Guy Geoffroy, président de la Commission spéciale prostitution de l’Assemblée nationale

Madame Fort [une députée, ndlr] a évoqué la question de la régularisation [des personnes étrangères, ndlr] et les inquiétudes qu’elle peut soulever. (…) Nous avons eu le même débat lors de l’examen de la loi du 9 juillet 2010. Certains nous disaient alors qu’en faisant bénéficier d’une ordonnance de protection les femmes victimes de violences, on risquait de voir se presser dans les commissariats ou auprès des parquets des femmes prétendant être victimes de violences. On allait ouvrir une nouvelle brèche dans la législation en matière de régularisation des étrangers, prévenait-on. Force est de reconnaître aujourd’hui que la loi du 9 juillet 2010 n’a donné lieu à aucun dérapage d’aucune sorte, ni à aucun détournement de procédure.

La clandestinité est une vraie question. (…) Que nous disent les personnes, françaises ou étrangères, qui se prostituent ou qui sont sorties de la prostitution ? Que la clandestinité existe déjà. Quel que soit le moyen utilisé par l’acheteur pour entrer en contact avec la personne qui se prostitue et bénéficier, moyennant finances, d’une prestation tarifée, le moment passé avec cette personne est d’ores et déjà un moment de clandestinité, un face-à-face potentiellement dangereux : si la personne qui se prostitue n’a pas la capacité de résister à une demande qui dépasse ce qui lui semble être les termes de l’accord initial, elle est d’ores et déjà en danger. Il n’y a pas à craindre davantage la clandestinité demain qu’aujourd’hui. Ceux qui utilisent cet argument savent qu’il frappe, alors même, osons le dire, qu’il n’a aucune portée.

Je dis à madame Badinter que, de la même manière, les modernes sont ceux qui renversent la table. Nous décidons qu’il est de notre obligation politique de nous intéresser à ce sujet. Ce n’est pas là une immixtion dans la sphère privée, à savoir dans la sexualité de chacun d’entre nous. Utiliser une personne parce qu’on a de l’argent pour le faire est un abus qui relève de la sphère publique.

Marie-George Buffet

Pour abolir ce système inhumain, il faut responsabiliser ceux qui font le choix de l’utiliser. C’est pour cela que nous décidons de pénaliser celui que l’on appelle le client. Ainsi la société aura les moyens de poser l’interdit de la marchandisation des corps. Ce n’est ni la morale ni la volonté d’une société régimentaire qui nous anime mais une volonté émancipatrice. Car la liberté ne s’achète pas, comme elle n’est pas non plus synonyme de propriété, surtout lorsque l’on parle d’humanité. Dans le domaine de l’acte sexuel comme dans d’autres, les êtres humains ont droit à d’autres rapports que ceux guidés par la loi du plus fort, du tout marchand.

Nous avons donc à faire un choix politique, non pas, je le répète, au nom de la morale, mais à partir d’une conception que nous avons de la société et du sens que nous voulons lui donner. Ainsi nous nous mobilisons pour faire avancer les mentalités. Car les femmes doivent pouvoir s’appuyer sur des lois pour conquérir des droits et faire changer le regard de la société à leur égard en utilisant ces droits.

Colette Capdevielle

À ceux qui font la promotion du contraire, au prétexte qu’une poignée de prostituées s’épanouirait dans l’exercice de cette profession, je réponds, d’abord, que le législateur écrit la loi dans le souci de l’intérêt général et ensuite que son rôle est précisément de prévenir et responsabiliser, bien avant de punir. Le législateur ne peut vouloir pour une seule de nos concitoyennes ce que nous ne voulons pas individuellement pour nous-mêmes. Aucun d’entre nous ne peut souhaiter la prolifération de mégabordels, comme il en existe tout près de chez moi, en Espagne, aux offres de services fast sex, all included. Dans tous les pays qui ont légalisé la prostitution, elle explose (…) Est-ce bien le modèle de société que nous souhaitons ?

Aujourd’hui, il nous appartient de faire un grand pas, de dire le droit dans cet esprit d’égalité que nous avons tous évoqué ici, quitte à priver certains de certaines libertés – mais ces libertés-là ont assez duré.

Pascal Cherki

[intervient à propos de l’affirmation répétée à droite de l’hémicycle, selon laquelle l’aide apportée aux prostituées en situation irrégulière créerait un afflux de migrantEs.]

Je vous le dis honnêtement (…) : la théorie de l’appel d’air ne devrait pas avoir sa place entre personnes qui abordent la question de la prostitution comme une lutte contre une forme d’esclavage moderne.

Marie-Françoise Clergeau

Vous remarquerez qu’il n’est jamais question du désir ou de l’éventuelle misère sexuelle des femmes. Tout cela importe peu, car la prostitution relève plus du droit des propriétaires que des droits des êtres humains. C’est au nom de la lutte contre le plus vieux sexisme du monde que le parcours de sortie de la prostitution se justifie. (…) Oui, la violence se nourrit des inégalités entre hommes et femmes. Oui, la sexualité est affaire de désir réciproque, d’échanges parfois complexes et de plaisir partagé, qui doivent échapper aux contraintes économiques et financières. Il s’agit ici d’ouvrir des alternatives : limiter les entrées en prostitution et en favoriser les sorties. C’est cette nouvelle façon de vivre en société que promeut cette proposition de loi.

Seybah Dagoma

Seule sur le terrain ou (…) avec des associations qui œuvrent quotidiennement au service des prostituées – j’en profite pour [les] saluer – toutes les informations que j’obtiens sont concordantes : les violences qu’elles subissent sont importantes et bien souvent du fait de leurs clients.

J’en veux pour preuve l’enquête réalisée par Médecins du monde auprès des prostituées chinoises à Paris : 86% d’entre elles ont déclaré avoir subi au moins une forme de violence depuis leur arrivée en France, dont 55% la violence physique, 38% au moins un viol et 23% la séquestration. S’agissant des prostituées dites traditionnelles, une étude de l’institut de veille sanitaire, nous apprend que 55% des personnes interrogées déclarent avoir subi des violences physiques au cours des douze derniers mois et 48% avoir été violées au cours de leur activité. 32% des hommes et 39% des transgenres prostitués affirment avoir été violés au moins une fois.

De tels chiffres sont éloquents. Je vous invite, chers collègues, à voter mon amendement afin d’affirmer haut et fort à tous ceux qui seraient tentés de violenter, de quelque manière que ce soit, des personnes en situation de prostitution, qu’il ne s’agit pas d’une circonstance atténuante mais, bien au contraire, d’une circonstance aggravante.

Jean-Marc Germain

À gauche, nous sommes épris de liberté. Néanmoins, nous avons aussi appris du mouvement ouvrier que la liberté sans la loi qui protège se fracasse sur le mur de l’argent. L’achat d’un acte sexuel, ce n’est pas la liberté pour chacun de disposer de son propre corps ; c’est la liberté des hommes de disposer, avec leur argent, du corps des femmes qui n’en ont pas, et qui n’ont donc pas la liberté de refuser.

Danièle Hoffman-Rispal

Nous ne pouvons plus continuer à accepter que, sous prétexte qu’il a payé pour un corps, le client puisse en disposer à sa guise. Ce n’est pas là notre conception de la liberté. Comme l’un de nos collègues qui en a fait état tout à l’heure, j’ai entendu et lu un certain nombre de choses. Les hommes auraient des pulsions irrépressibles ; le nombre des viols risque d’augmenter ; pensez à ces pauvres hommes qui ont besoin d’affection et de tendresse !

Allez donc voir à quoi ressemblent les preuves de cette tendresse sur différents sites internet. Je dois dire que j’ai été choquée, ce qui m’arrive rarement. J’ai lu des choses absolument inadmissibles que je vous épargnerai, mais je tiens un certain nombre de pages à votre disposition.

Nous l’avons dit et répété : ce sont les proxénètes et les clients qui mettent en péril la santé des personnes prostituées. Ce sont eux qui les violentent. Ce sont les clients qui, au motif qu’ils paient, prétendent pouvoir acheter un corps.

Armand Jung

Élisabeth Badinter laissait récemment entendre, hélas ! que les femmes, pour gagner plus et travailler plus librement, auraient plus intérêt à se prostituer qu’à être, je cite, caissières de supermarché. Dans le même ordre d’idées, un responsable du Syndicat du travail sexuel est allé jusqu’à déclarer, je cite également, que certaines personnes ne pourraient pas travailler dans un abattoir ou s’occuper de personnes âgées.

À partir d’un tel constat, primaire et simpliste, tout devient possible et acceptable: tout vaut mieux que de travailler en usine, sans patron, sans horaires et sans règles. Quelle imposture ! À qui veut-on faire croire de telles contrevérités ? (…) De quelle liberté parle-t-on ? De quelle égalité hommes – femmes parle-t-on ?

Je voudrais citer un extrait du rapport sur les enjeux sanitaires de la prostitution, publié par l’IGAS en 2012 : Les violences font partie du paysage de la prostitution, quels qu’en soient la forme et le mode d’exercice.

Ce n’est ni un religieux ni un moraliste qui s’exprime ainsi, c’est bien une administration !

Jean-Philippe Malle J’ai bien dit qu’il s’agissait de politique car ainsi nous ne nous soumettons pas à cette idéologie libérale et libertaire, qui, au prétexte d’un désir et d’une liberté personnelle sans entrave, fait la promotion de l’individualisme sans limite et de la toute-puissance du marché.

C’est la fonction et la vocation des parlementaires que de voter des lois qui participent du contrat social et qui n’abandonnent pas le corps social aux différents rapports de domination qui le traversent. Vous voyez qu’il s’agit bel et bien d’un combat politique.

Ségolène Neuville

Mon propos [en tant que médecin] n’est pas idéologique, il est pragmatique (…) la situation des personnes prostituées est actuellement désastreuse, en particulier sur le plan sanitaire. La meilleure façon de réduire les risques reste la sortie de la prostitution ; c’est d’ailleurs l’un des objectifs de cette proposition de loi. Néanmoins, certaines personnes ne sortiront pas de la prostitution, parce que cela ne constitue pas une obligation que nous inscrivons dans la loi. Nous souhaitons simplement qu’existe un droit de sortie de la prostitution, afin de faciliter cette sortie.