Lettre ouverte à mes prostitueurs

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Cher acheteur de sexe… vous m’avez dit ce que vous aviez besoin d’entendre, pour préserver votre illusion, pour ne pas songer à la façon dont j’avais abouti là, à vingt ans.. Tanja Rahm, écrivaine, psychothérapeute et survivante de la prostitution, s’adresse d’une plume acerbe aux « clients » prostitueurs, les confronte à leur tartufferie.

Cher acheteur de sexe,

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Si vous pensez m’avoir déjà inspiré quelque attirance, vous vous trompez royalement. Je n’ai jamais éprouvé aucun désir pour ce travail, pas une fois. La seule chose à laquelle je pensais, c’était de gagner de l’argent, et vite. N’allez pas confondre cela avec de l’argent facile, ce n’a jamais été facile. Rapide? Oui. Parce que j’ai vite appris les astuces pour vous amener à éjaculer le plus rapidement possible, afin de pouvoir vous dégager rapidement de sur moi, ou sous moi, ou derrière moi.

Et non, vous ne m’avez jamais allumée. J’étais une grande actrice. J’ai bénéficié, pendant des années, d’occasions de répétitions sans frais. Je suis devenue experte du multitâche. Parce que pendant que vous étiez couché là, mes pensées voguaient toujours ailleurs. Dans un espace où je cessais de vous voir détruire mon respect de soi, étaler votre manque total de conscience – ne fùt-ce que dix secondes – de la réalité de la situation, ou refuser de me regarder dans les yeux.

Si vous pensiez me faire une faveur en me payant pour trente minutes ou une heure, vous avez eu tort. J’aurais préféré que vous veniez et repartiez aussi vite que possible.

Le halo de sauveur que vous vous décerniez en me demandant ce qu’une jolie fille comme moi faisait dans un tel endroit, vous le perdiez dès que vous me demandiez de m’allonger sur le dos et que vous vous efforciez de me palper un peu partout. En fait, j’aurais préféré que ce soit vous qui vous couchiez sur le dos et me laissiez faire mon travail.

Lorsque vous pensiez pouvoir décupler votre masculinité en m’amenant à l’orgasme, vous devez savoir que je simulais. J’aurais pu être médaillée d’or en simulation. Je simulais tellement que la réceptionniste en pleurait de rire. Comment aurait-il pu en être autrement?

Vous étiez peut-être le troisième ou le cinquième ou le huitième de la journée. Pensiez-vous vraiment que je pouvais être allumée mentalement ou physiquement en ayant des rapports sexuels avec des hommes que je n’avais pas choisis? Jamais de la vie. J’avais les organes génitaux en feu, à cause du lubrifiant et des préservatifs.

Et j’étais fatiguée. Si fatiguée que, souvent, je devais m’appliquer à ne pas fermer les yeux, de peur de m’endormir – alors que mes gémissements continuaient en mode automatique.

Si vous avez pensé acheter mon écoute loyale ou notre conversation, détrompez-vous. Vos excuses ne m’intéressaient pas du tout. Je me foutais de la dysfonction pubienne de votre épouse et de votre incapacité à vous passer de sexe. Comme je me foutais du reste de vos excuses pathétiques pour venir m’acheter des relations sexuelles. Lorsque vous pensiez que je vous comprenais et que j’avais de la sympathie pour vous, tout n’était que mensonge : je n’éprouvais que mépris. Et en même temps, vous détruisiez quelque chose en moi. Vous semiez les graines du doute. Je me demandais si tous les hommes étaient aussi cyniques et déloyaux que vous.

Lorsque vous me complimentiez sur mon apparence, mon corps, ou mes capacités sexuelles, vous auriez tout aussi bien pu me vomir dessus. Vous n’avez jamais vu qui j’étais sous le masque. Vous avez choisi de voir seulement ce qui confirmait votre illusion d’une femme torride à la libido infatigable. En fait, vous ne m’avez jamais dit ce que vous pensiez que je souhaitais entendre, mais bien plutôt ce que vous aviez besoin d’entendre. Vous disiez ce qu’il fallait pour préserver votre illusion, pour ne pas songer à la façon dont j’avais abouti là, à vingt ans. Fondamentalement, vous n’en aviez cure. Parce que vous n’aviez qu’un seul but : faire preuve de votre puissance en me payant pour vous servir de mon corps à loisir.

Quand une goutte de sang apparaissait sur le préservatif, ce n’était pas parce que mes règles venaient de débuter. C’était parce que mon corps, devenu une machine, ne pouvait se payer le luxe d’arrêter pour un cycle menstruel et que j’insérais une éponge dans mon vagin ces jours-là. Pour être en mesure de continuer à bosser.

Et non, je ne rentrais pas à la maison quand vous aviez terminé. Je continuais la routine, en disant au client suivant exactement les mots que vous veniez d’entendre. Vous étiez à ce point consumé par votre convoitise qu’un peu de sang menstruel n’allait pas vous arrêter.

Quand vous arriviez avec des objets, de la lingerie, des costumes ou des jouets et que vous réclamiez des jeux de rôles érotiques, je me débranchais intérieurement. J’étais dégoûtée de vous et de vos fantasmes parfois si tordus.

Idem pour les moments où, avec un sourire, vous me murmuriez que je ressemblais à une fille de dix-sept ans. Cela n’aidait pas que vous en aviez vous-même cinquante, soixante, soixante-dix ou plus.

Vos transgressions répétées de mes limites, soit en m’embrassant, soit en me pénétrant de vos doigts, soit en enlevant le préservatif, vous les faisiez en sachant parfaitement que c’était interdit. Vous testiez ma capacité de dire non. Et ça vous plaisait quand je ne n’osais pas vous tenir tête ouvertement ou quand, trop souvent, je faisais semblant de ne pas le remarquer. Vous vous en serviez ensuite de façon perverse pour afficher votre pouvoir, votre capacité de transgresser mes limites. Et quand je vous ai finalement chassé et décidé de ne plus vous avoir comme client puisque vous refusiez de respecter les règles, vous m’avez insultée, moi et mon rôle de prostituée. Vous avez été méprisant, menaçant et grossier.

Lorsque vous achetez du sexe, cela en dit beaucoup sur vous, sur votre humanité et votre sexualité.

Pour moi, c’est un signe de votre faiblesse, même si vous pensez y voir un genre tordu de pouvoir et de statut. Vous croyez disposer d’un droit parce que, n’est-ce pas, les prostituées sont partout dans la rue, hein?

Mais elles ne sont prostituées que parce que les hommes comme vous font obstacle à des relations saines et respectueuses entre les femmes et les hommes. Les prostituées n’existent que parce que des hommes comme vous croient avoir le droit de satisfaire vos pulsions sexuelles au moyen des orifices corporels d’autres personnes.

Les prostituées existent parce que vous et vos pairs réclamez un accès à des rapports sexuels à tout moment, où que vous le souhaitez. Les prostituées existent parce que vous êtes misogyne, et parce que vous vous souciez plus de vos besoins sexuels que de relations où votre sexualité aurait des chances de s’épanouir.

Lorsque vous achetez du sexe, cela révèle que vous n’avez pas trouvé le cœur de votre sexualité. Je suis désolée pour vous, je le suis vraiment. Désolée que vous soyez médiocre au point de penser que le sexe se résume à éjaculer dans le vagin d’une étrangère. Et que si l’on n’en trouve pas à portée de main, il y en a toujours une au prochain coin de rue, où vous pouvez payer une femme inconnue pour pouvoir vous vider dans un caoutchouc à l’intérieur d’elle.

Quel type mesquin et frustré vous devez être! Incapable de relations profondes et intimes, où le lien serait plus profond que votre simple éjaculation. Un homme qui exprime ses sentiments à travers ses orgasmes, qui n’est pas capable de les verbaliser, mais préfère les canaliser à travers ses organes génitaux pour s’en débarrasser. Quelle piteuse masculinité! Un homme vraiment masculin ne s’abaisserait jamais à payer pour un rapport sexuel.

Quant à votre humanité, je crois personnellement au bon côté des gens, et aussi au vôtre. Je sais que, tout au fond, vous avez une conscience. Que vous vous êtes déjà demandé si ce que vous faisiez était éthiquement et moralement correct. Je sais aussi que vous vous justifiez, que vous pensez probablement m’avoir bien traitée, avoir été charitable, jamais cruel et n’avoir jamais transgressé mes limites. Mais vous savez quoi? C’est ce qu’on appelle se mettre la tête dans le sable.

Vous fuyez la réalité. Vous vous leurrez en pensant que les personnes que vous payez ne sont pas achetées, pas contraintes à se prostituer. Vous pensez même peut-être m’avoir fait une faveur et offert une pause en parlant de la météo ou en me donnant un petit massage avant de me pénétrer. Vous ne m’avez pas fait de cadeau. Cela n’a fait que me confirmer que je ne valais pas plus. Que j’étais une machine, dont la principale fonction était de laisser les autres exploiter ma sexualité.

J’ai beaucoup d’expérience de la prostitution. Elle me permet de vous écrire cette lettre. Mais c’est une lettre que je préfèrerais beaucoup ne pas écrire. Ces expériences, j’aurais bien mieux aimé pouvoir les éviter.

Vous vous considériez, bien sùr, comme l’un des bons clients. Mais il n’y a pas de bons clients. Il n’y a que ceux qui confirment la vision négative qu’ont les femmes d’elles-mêmes.

Ne voulez-vous pas me donner la main et me voir comme la personne que je suis à l’intérieur? Unissons-nous pour faire une différence dans l’avenir. Élevons nos voix à l’intention de nos amis, nos copines, nos partenaires commerciaux, nos patrons, nos politiciens, et enfin et surtout, à l’intention des femmes prostituées. Reconnaissons haut et fort que le sexe est quelque chose de privé. Crions que notre vie sexuelle n’est pas un produit sur une étagère, et que les conséquences peuvent être catastrophiques si elle est traitée comme telle. Clamons au monde que l’argent et le sexe ne vont pas ensemble, et que le sexe relève de relations complètement différentes et réciproques.

Il n’en faudra pas moins pour que vous retrouviez mon respect et que je vous voie comme la personne que vous êtes, et non pas seulement comme un acheteur de sexe, séduit par une illusion.

Cordialement,

Tanja Rahm

Thérapeute, auteure et ex-prostituée