Du sexe et des images : quel discours dans les medias ?

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Retour sur le reportage d’Envoyé Spécial du 18 mai 2006, consacré aux bordels allemands au moment du Mondial 2006.

Les médias sont-ils là pour donner à réfléchir, à analyser ? Sans remettre en cause les journalistes responsables qui font leur métier, on peut interroger la complaisance dont certains ont fait preuve en couvrant l’actualité de la prostitution allemande en marge du Mondial de football.

À la télé, image rime bien souvent avec racolage. Le journaliste d’Envoyé spécial sur France 2 a ainsi mis toute son ardeur à montrer le côté follement ludique et branché de la prostitution à « l’Artémis », grand McDo berlinois du sexe.

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Tendant son micro, il a pris pour argent comptant le discours rieur des toutes jeunes femmes qui viennent d’entrer dans la carrière et les propos faussement débonnaires du patron de ce cheptel humain.

Pas l’ombre d’un questionnement sur l’avenir de ces jeunes femmes ni sur l’omniprésence des vigiles et des caméras qui agrémentent ce divertissement anodin.

Le fait de ne pas filmer les visages (la prostitution est pourtant un métier comme un autre en Allemagne…) oblige la caméra à s’attarder sur les cuisses et les seins des femmes. Que reste-t-il du jugement du journaliste, masculin qui plus est, face à cette avalanche de culottes et de décolletés ? Peu de chose, on l’aura constaté.

À ces apologies régulières, les médias ajoutent une tribune formidable accordée aux défenseurs et défenseuses de la prostitution. Quoi de plus excitant qu’une prostituée-tellement-heureuse-de-I’être dans un talk show?

Enfin, certains groupes activistes, notamment de travestis et de transsexuelles, experts en l’art de créer des images colorées pour « passer à la télé », sont parfaitement relayés dans leur propagande pro-prostitution. La responsabilité des médias est posée. L’ignorance des journalistes, sujets aux mêmes fantasmes que l’ensemble de la population, a des conséquences graves.

Aujourd’hui, ces discours, ces images, poussent certaines personnes en situation de détresse ou d’urgence financière à « choisir » la prostitution. Une escort girl interviewée dans nos pages raconte comment une émission de M6, montrant l’argent qui coule à flots, l’a convaincue qu’elle tenait la solution[À lire sur ce site, [.]].

Et l’on connaît aujourd’hui les ravages de Pretty Woman sur des jeunes femmes de pays déshérités, persuadées de trouver dans la prostitution à l’Ouest la promesse du prince charmant.

Plus largement, est posée la question des intérêts financiers des médias. Les petites annonces de prostitution, les publicités pour des sites Internet financent en partie des organes de la presse écrite. Le cinéma porno fait vivre des chaînes de télés. Beaucoup de médias sont de plus en plus dépendants de l’industrie du sexe. Est-il inconvenant de s’interroger sur la corrélation entre ces réalités sonnantes et trébuchantes et le discours qu’ils véhiculent?

C’est en quittant le fantasme pour enquêter sur le réel que les médias pourront avoir un rôle à jouer dans les années qui viennent: permettre la parole de celles, prostituées, qui demeurent écrasées sous la honte, comme l’ont été avant elles les victimes de viols et de violences conjugales.

Aux médias la responsabilité de les déculpabiliser afin qu’elles parlent enfin. Mais il faut du temps, un vrai travail d’enquête et d’investigation. Est-ce vraiment trop demander?

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.