Par une décision du 16 octobre 2019, le Conseil d’État revoit à la baisse la protection des victimes nigérianes de la traite, issues de l’Etat d’Edo. Une désolante restriction qui va nuire à l’accompagnement de femmes en situation déjà bien précaire.
Un grand progrès pour leur accès au statut de réfugiées avait été la reconnaissance, par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en 2017, de l’existence d’un groupe social
des femmes nigérianes de l’État d’Edo victimes d’un réseau de prostitution et parvenues à s’en extraire ou ayant entamé des démarches en ce sens
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Hélas, si le Conseil d’Etat valide aujourd’hui l’existence de ce groupe social à protéger, il vient en même temps de donner un coup de canif dans les décisions de la CNDA. En clair, il ne suffit plus aux victimes d’avoir entamé des démarches afin de s’extraire de leur réseau pour être reconnue réfugiées. Il leur faut s’en être effectivement extraites, définitivement et préalablement à la date de la décision. Ce nouvel arrêt fait suite à la demande d’une femme dont la plainte et les déclarations ont été jugées évasives et peu circonstanciées
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Selon la Convention de Genève, le statut de réfugié peut en effet être accordé à toute personne qui craint de subir des persécutions en raison de ses opinions politiques, de son appartenance religieuse, de sa race, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social
. En l’occurrence, les femmes nigérianes de l’Etat d’Edo partagent une identité commune, celle d’être frappées d’ostracisme lorsque, pour échapper à leur réseau, elles cessent de rembourser leur « dette », rompant ainsi le « serment du juju », rite de magie noire utilisé par les trafiquants pour les intimider ainsi que leur famille.
C’est une restriction supplémentaire qui est posée aux victimes de traite et va entraver leur accès à la protection internationale
commente Aude Evrard, déléguée du Mouvement du Nid du Bas Rhin. Actuellement, quand nous les accueillons, nous entamons les démarches de demande d’asile en même temps qu’elles sortent du réseau. Elles disposent de 90 jours, à partir de leur arrivée sur le territoire, pour que leur demande suive une procédure normale : un délai très court dont il faut dire qu’il était de 120 jours jusqu’à la loi Asile et Immigration du 10 septembre 2018. Non seulement le délai a été raccourci pour l’ensemble des migrant·es mais désormais, ces victimes de traite devront d’abord avoir coupé tout lien avec le réseau, ce qui dans les faits est compliqué et peut prendre du temps.
Pour prouver leur extraction du réseau, il faudra donc qu’elles puissent présenter un faisceau d’indices suffisant : dépôt de plainte, certificats médicaux, attestations d’associations ou de foyers, etc. Comme le temps sera compté, ces femmes seront, pour leur demande d’asile, automatiquement placées par la préfecture en procédure accélérée. L’Ofpra statue alors en 15 jours au lieu de 6 mois et les conditions d’accueil sont durcies. Ce recours est loin d’être avantageux : du fait de la brièveté du délai, les droits auxquels elles peuvent normalement prétendre, comme l’hébergement ou l’Allocation pour demandeurs d’asile (ADA), peuvent leur être refusés. On est presque face à une rupture de droits
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Pour la déléguée du Mouvement du Nid, on oblige désormais ces femmes à sortir du réseau sans leur assurer une protection. On sent, derrière cette décision du Conseil d’Etat, une certaine suspicion. Est-ce qu’il n’y a pas là l’idée que ces victimes de la traite n’entament des plaintes que pour obtenir une protection ? On peut se demander si cette décision n’est pas un nouvel effet de la théorie de l’appel d’air, qui amène à restreindre les droits des personnes par peur d’un afflux de migrants!