Elisabeth Moreno : « Toutes les personnes prostituées qui le souhaitent doivent avoir accès à un parcours de sortie de la prostitution »

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À l’occasion des 5 ans de la loi du 13 avril 2016, Elisabeth Moreno, ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes, nous a accordé une interview, dans laquelle elle réaffirme le soutient et l’engagement du gouvernement français dans la mise en œuvre de la loi.

Depuis que vous avez pris vos fonctions, vous vous êtes attachée à rappeler l’importance de la lutte contre le système prostitutionnel, et à rappeler que la prostitution fait partie des violences faites aux femmes. Comment celle-ci s’inscrit-elle dans les politiques de votre ministère ?

La lutte contre le système prostitutionnel est un engagement porté par le gouvernement, et par mon ministère. Dès ma nomination, j’ai fait de la lutte contre les violences de genre une des priorités de mon ministère. De fait, l’État, au-delà de son engagement dans la lutte contre la prostitution, soutient financièrement des associations, comme le Mouvement du Nid ou l’Amicale du Nid qui œuvrent auprès des femmes prostituées sur l’ensemble du territoire. Parce que la possibilité de sortir du système prostitutionnel est primordiale, je me suis engagée à ce que d’ici la fin de l’année 2021 chaque département dispose d’une commission départementale de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains.

La loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées aura 5 ans ce 13 avril 2021. Selon vous, est-ce une bonne loi ?

Oui tout à fait. Lorsqu’elle a été votée en 2016, il y a eu un changement de paradigme concernant la représentation qui était faite des personnes prostituées et de leurs « clients ». Auparavant considérées comme délinquantes par le droit français – avec le délit de racolage – les personnes prostituées sont aujourd’hui perçues comme victimes du système prostitutionnel, et ainsi ont le droit d’être protégées et aidées comme tout autre victime de violences. Par ailleurs, l’ajout de la pénalisation du «client» de personnes prostituées fait passer la culpabilité du côté de l’agresseur – donc du « client » – et non plus de la victime. Afin que cette loi porte réellement ses fruits, il est nécessaire que toutes les personnes le souhaitant puissent avoir accès à un parcours de sortie de la prostitution, ainsi qu’à un travail respectant la dignité humaine.

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Un rapport inter-inspections publié en juin 2020 vient souligner l’efficacité de cette loi là où elle est appliquée, mais indique que le portage politique a fait défaut. Comment répondez-vous aux recommandations des inspections ?

Ce rapport a permis de mettre en lumière les améliorations à apporter aux dispositifs prévus par la loi du 13 avril 2016. Ainsi, depuis ce rapport, mon ministère et le gouvernement ont été pleinement mobilisés pour faire de cette loi une réalité sur tout le territoire national.

Tout d’abord, pour rappel, le 15 février 2021 j’ai convoqué la première réunion du comité de suivi de la loi depuis 2017. Il a permis d’avoir des remontées de terrain de la part des associations présentes et de concevoir les améliorations à apporter, afin de renforcer la portée de la loi sur le terrain. Concernant le financement public dédié à la lutte contre la prostitution, le gouvernement est pleinement engagé sur ce sujet, et a mis à disposition plusieurs crédits pour financer les actions de cette loi.

Mon ministère a également pris en compte la demande d’indicateurs permettant de mesurer l’effectivité de cette loi. À ce jour les deux indicateurs retenus sont le nombre de parcours de sortie effectués (400), ainsi que le nombre de commissions départementales de lutte contre le prostitution mises en place en régions (80).

Dans le rapport que nous avons remis en février, nous avons tiré les mêmes conclusions que les inspections sur les parcours de sortie. Ils ne sont pas assez attractifs, et les associations ne peuvent pas accueillir toutes les demandes. Comment envisagez-vous d’améliorer ce volet de la loi ?

Nous sommes particulièrement conscients des disparités existantes, notamment dans l’acceptation d’un dossier dans le cadre des parcours de sortie demandés par les associations. De fait, le ministère de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances est pleinement mobilisé, en lien avec ses services centraux et déconcentrés en régions, pour homogénéiser les critères d’examen des candidatures à un parcours de sortie, afin que chaque personne désirant sortir de sa situation de prostitution puisse le faire. Par ailleurs, une réflexion est menée par les services de mon ministère pour renforcer la visibilité du parcours de sortie à destination des personnes prostituées, afin que ces dernières sachent qu’il existe une porte de sortie à leur situation.

Pour qu’une telle loi puisse être effective, il est indispensable que la prostitution soit systématiquement incluse dans les violences faites aux femmes, et il faut que la pénalisation des « clients », qui sont les responsables de ces violences, soit comprise. Est-ce que vous prévoyez des campagnes de communication sur le sujet ?

Concernant la mise en place d’actions de sensibilisation spécifiquement dédiées à
la lutte contre la prostitution, cette problématique est parfaitement intégrée aux
politiques de lutte contre les violences faites aux femmes dans son ensemble. Par
ailleurs, la question de la prostitution sera prochainement abordée au sein du site www.arretonslesviolences.gouv.fr, mettant à disposition des contenus de sensibilisation à destination des professionnels et du grand public relatifs à la lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes.

La crise sanitaire a augmenté de façon inédite la précarité des personnes prostituées. Elles ont besoin de soutien alimentaire, financier, et beaucoup demandent à sortir de la prostitution. Que leur dites-vous ?

Mon ministère, ainsi que les ministères sociaux, ont été très impliqués dans la mise en place de fonds spécifiquement dédiés aux personnes précaires durant la crise sanitaire, et notamment pour faire face aux périodes de confinement. Ainsi, en 2020, des tickets-services ont été remis aux associations et distribués à 1 700 personnes en situation de prostitution. L’enveloppe 2020 de financement de l’AGRASC de 2 millions d’euros permet de répondre aux besoins exceptionnels générés par la crise sanitaire et à ses conséquences sur le long terme pour ce public. De même, 500 000 € ont été débloqués par le gouvernement pour l’achat de tickets-services par les associations de lutte contre la prostitution qui bénéficieront à 3 000 personnes.

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Sur le terrain, le Mouvement du Nid est de plus en plus sollicité face à des jeunes pris dans les pièges d’Internet, de la prostitution filmée et de l’hypersexualisation. Que faire pour les protéger ?

Avant tout chose, je tiens à rappeler la nécessité de prendre en compte l’importance des médias dans notre vie quotidienne : à la télé, sur internet, sur les réseaux sociaux, dans la publicité, dans les clips vidéo, etc., nous sommes confrontés à des représentations médiatiques qui reprennent les stéréotypes de genre. La lutte contre les stéréotypes sexistes et de genre, notamment à destination des jeunes, est une des priorités de mon ministère. En lien avec Jean-Michel Blanquer et Adrien Taquet, nous avons engagé des actions à destination des adolescents, visant à déconstruire les représentations hypersexualisées dans les médias. Cela passe notamment par l’élaboration d’un plan de lutte contre le harcèlement sexuel et sexiste, comprenant le cyber-harcèlement.
Par ailleurs, ces représentations stéréotypées pouvant être à l’origine de violences sexistes et sexuelles envers les femmes – et ce dès l’adolescence – le gouvernement a souhaité introduire au sein des 46 mesures du Grenelle des violences conjugales le thème de l’égalité entre les filles et les garçons au programme des concours de professeur du primaire et du secondaire. Ainsi, depuis la rentrée de septembre 2020, près de 22 000 élèves inscrits en master, et préparant les concours de l’enseignement, auront en première ou deuxième année bénéficié de 18 heures de formation obligatoires sur la culture de l’égalité et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

Aujourd’hui on parle beaucoup de « prostitution des mineur·es », alors qu’il s’agit plutôt pour nous de proxénétisme de mineures, dont les responsables sont les proxénètes et les « clients ». Qu’en pensez-vous ?

La prostitution des mineurs prend de plus en plus d’ampleur au sein de l’espace public et sur internet, mais qui est malheureusement très difficile à quantifier en raison de la mobilité des jeunes. Ce sont notamment des jeunes filles entre 13 et 16 ans, venant de tous les milieux sociaux, et qui sont généralement prises dans les filets de réseaux de proxénétisme de mineurs par le biais des réseaux sociaux. Pour endiguer ce phénomène, Adrien Taquet, Secrétaire d’État à l’Enfance a mis en place un plan de lutte contre les violences faites aux enfants, comprenant notamment une partie dédiée à la lutte contre la prostitution des mineurs. Ce plan prévoit la mise en place d’un groupe de travail pluridisciplinaire visant à identifier les bonnes pratiques existantes sur le terrain, et à proposer des solutions pour réduire significativement et mettre un terme à ce phénomène.

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