Léa vit au Havre, va à la fac, s’occupe seule de sa grand-mère et, pour boucler les fins de mois, travaille comme serveuse dans une boîte de nuit.
Mais Léa rêve d’une autre vie.
Son admission à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris va précipiter ses décisions, mais cela coùte cher. Léa décide alors de devenir strip-teaseuse. Le jour, elle apprend à Sciences Po les «vertus de l’économie libérale». La nuit, dans un club parisien, elle les pratique.
La prostitution étudiante est un sujet en vogue. « Mes chères études » a défriché le terrain. « Slovenian Girl » a enchaîné sur le même thème. Et si Léa ne fait pas de passes à proprement parler, elle fait aussi commerce de son corps dénudé en dansant autour d’une barre de lap dance ou en salon privé.
À chaque fois, le propos se ressemble. Les jeunes héroïnes de ces films sont les victimes de la loi du marché. Le coùt de la vie est élevé. Les familles éclatées ne permettent plus aux nouvelles générations de les soutenir au moment de leurs études. Du coup, les enfants nés au sein des moins aisées d’entre elles se doivent d’enchaîner les petits boulots.
Et comme cette société en perpétuelle accélération ne laisse plus de temps aux rencontres amoureuses, transforme nos vies en trajectoires individuelles où rien ne se construit que dans l’instant et donc dans l’éphémère, le sexe est de plus en plus soumis à l’offre et à la demande, comme n’importe quel autre produit de consommation.
Parmi la population précarisée décrite plus haut, certaines jeunes filles se voient en toute logique glisser insidieusement vers la prostitution pour finalement y plonger tout à fait. Chacun dans leur style, les trois films cités tentent de mettre en images ces doubles vies partagées entre cours magistraux et dévoilement tarifé de leurs charmes.
Slovenian Girl faisait mouche en mettant toute psychologie à l’écart, filmant le visage de son personnage principal comme un masque froid et insondable. Léa adopte un autre point de vue – celui du portrait fouillé où toutes les failles internes sont explorées – qui au final ne convainc guère faute d’arriver à appréhender la réalité de celle dont le prénom fait titre.
Écrit à quatre mains par le réalisateur Bruno Rolland et son actrice Anne Azoulay, le récit explore plusieurs pistes, montre Léa en train de s’occuper de son aïeule victime d’Alzheimer, ouvre des portes sur une histoire familiale complexe où le père a semé la haine sans que l’on sache vraiment de quoi il retourne, puis reconstruit une nouvelle famille de son côté.
Tout concourt à donner à Léa une raison extérieure à elle-même de monnayer son intimité. Le contexte économique d’accord, la famille bien sùr, mais qu’en est-il de son rapport au désir ? Dès que le film aborde ces questions, il sombre dans les clichés les plus rebattus qui renvoient la sexualité féminine soit à l’animalité insatiable (Léa caricaturée en chienne dans la jouissance), soit à la salissure chrétienne (Léa marchant dans le verre brisé).
Jamais en fait Léa n’accède au rang d’être pensant, produisant une parole construite, élaborée, sans rage ni hystérie. Alors que le film se prétend être de son côté, il l’infantilise à rebours. Sans le vouloir, il reprend à son compte un présupposé patriarcal si ancré dans nos mentalités qu’il en vient souvent à justifier la prostitution : la femme – être d’émotion – n’a pas de sexualité adulte.
De Jeanne Dielman à Klute, de Delphine Seyrig à Jane Fonda, il fut un temps où le cinéma arrivait davantage à faire surgir la Femme – ses émois, ses joies, ses projets… – de la prostituée, triomphait de l’archétype en en bombardant efficacement les points morts.