Le Parquet de Pontoise a mis en place des stages de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels. Des journées productives qui permettent de sensibiliser les « clients » à la violence de la prostitution et de prévenir la récidive.
« J’y étais allée pour trois semaines et j’y suis restée pendant 22 ans ». Rosen Hicher, survivante de la prostitution, raconte sa vie émaillée de traumatismes : kidnapping, viols, violences conjugales, économiques… Assis face à elle, une dizaine d’hommes l’écoutent attentivement : clients de la prostitution, ils suivent un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels.
« L’intervention de Rosen a le plus fort impact auprès des participants», explique Frédéric Boisard, chef de projet à la Fondation Scelles qui co-anime ces stages dans le Val-d’Oise.
Rosen qui a connu plusieurs formes de prostitution, explique qu’on ne «tombe pas dans la prostitution par hasard et qu’on n’en sort pas facilement : j’étais devenue addicte à l’alcool et à l’argent facile. ».
Après son intervention, le silence dans la salle se fait pesant et les visages se ferment. « Il est difficile d’encaisser ce qu’on n’a pas envie d’entendre », commente Frédéric Boisard. À cet homme qui croit avoir des liens affectifs avec une femme prostituée, Rosen répond sans détour : «il n’y a pas d’amour, que des relations d’argent. C’est une bonne actrice, elle vous ment ». Effondré, cet homme prend conscience qu’il s’est longtemps bercé d’illusions. Persuadés que les femmes prostituées étaient libres, des participants sont forcés de constater que la prostitution n’est jamais un choix. « Cette notion de liberté de choix doit être déjouée, sinon c’est la porte ouverte à la récidive », commente Frédéric Boisard.
Internet, pas d’impunité pour autant
Ces stages de sensibilisation ont été mis en place dans le département en fin 2019, à la demande du parquet de Pontoise qui s’est mobilisé pour appliquer la loi du 13 avril 2016. Une convention a été signée entre le groupement de gendarmerie du Val-d’Oise, l’ARS 95 (Association de réadaptation sociale), ainsi que la fondation Scelles, sollicitée pour mettre en place et co-animer ces journées mensuelles à visée pédagogique. Les premiers stages ont accueilli en majorité des « clients » de la prostitution sur Internet. En effet, ils ont été mis en place, à la suite du démantèlement d’un réseau de proxénétisme dans le département.
Comme le raconte Frédéric Boisard : « En capturant dans leurs filets les proxénètes, les enquêteurs ont également harponné des petits poissons – les “clients” – qui avaient utilisé leur téléphone pour contacter des femmes sur le site Sexmodel. »
Plusieurs dizaines de clients ont été très surpris d’être convoqués au commissariat. Conformément à la loi, le parquet a placé ces hommes devant une alternative possible, lors d’une première infraction : payer une contravention (5e classe) de 1 500 euros ou suivre un stage de sensibilisation d’un coût de 180 euros. Leur choix a été vite fait. Grâce à ces stages dans le Val-d’Oise, l’idée reçue selon laquelle les « clients » sur internet peuvent agir en toute impunité, a été battue en brèche.
Méthode de l’entonnoir
La journée se déploie selon « la méthode dite de l’entonnoir », explique Frédéric Boisard. Au départ, la discussion est ouverte et tous les sujets abordés ; puis, la réunion se focalise sur les victimes et sur la responsabilité des « clients » dans le système prostitutionnel. Lors d’un tour de table, les participants expliquent les raisons de leur présence. La psychologue de l’ARS 95, Mélissa Guyomar, les aide à s’interroger sur leur problématique personnelle, les difficultés (familiales, sociales…) qui ont pu favoriser le recours au sexe tarifé. L’animateur de la Fondation Scelles assure de son côté l’information et aide également à déconstruire les idées reçues, les stéréotypes. Lorsqu’il demande à un participant : « Et si votre épouse faisait la même chose, comment réagiriez-vous », la réponse fuse : « Je la tue. »
En début d’après-midi, Cindy Roguet, du groupement de gendarmerie du Val-d’Oise, intervient pour détailler la loi, les infractions liées à la prostitution avec les circons- tances aggravantes, le proxénétisme… «Les participants ignorent certains aspects de la loi», commente l’adjudante-chef qui se présente face à eux en uniforme.
« Je partage aussi mon expérience de terrain, en décrivant les parcours de victimes que j’ai entendues, dans le cadre des enquêtes ou des patrouilles », explique la gendarme. Des histoires de jeunes filles, de femmes cabossées par la vie. Mon récit « entre ainsi en résonance avec ce qui a été dit durant le stage », ajoute-t-elle.
Les conclusions de l’évaluation révèlent que les consciences ont évolué durant la journée. « Nous espérons que ces remises en question se perpétueront au-delà du stage », conclut Frédéric