Colloque « Violences sexuelles – le corps et la sexualite en otage » : Du traumatisme à la réconciliation

1427

Organisé par l’association Mémoire traumatique et victimologie à Bourg la Reine le 10 novembre 2010, le colloque, où la prostitution a eu toute sa place, a marqué un moment important devant une salle comble (400 personnes). Objectif : identifier les conséquences traumatiques des violences, dénoncer le déni qui les entoure, mais aussi éclairer les pistes pour mieux prévenir, pour améliorer la protection des victimes et leur prise en charge, et avancer vers une sexualité non violente et libre.

On croit tout savoir sur les violences sexuelles, bien à tort. Le colloque du 10 novembre a montré l’étendue du travail qui reste à accomplir, ne serait-ce que pour en comprendre les mécanismes. Il serait difficile de rendre compte de la richesse d’une telle journée et de toutes les pistes de réflexion et d’action qu’elle a su ouvrir.

Ouverte sur les interventions de la députée Marie-Louise Fort et de la vice présidente du Conseil régional d’Ile-de-France Henriette Zoughebi, la journée s’est articulée autour de trois pôles : le constat des réalités et de la gravité des violences (« le corps et la sexualité instrumentalisés »), la confusion et le déni (« le corps et la sexualité dissociés ») et la construction des réponses (« le corps et la sexualité réunifiés »). Elle a été l’occasion d’une multiplicité d’interventions dont les Actes, à paraître, permettront de retrouver l’essentiel. Nous choisissons ici de donner un simple aperçu de quelques-unes d’entre elles et de leurs points forts.

Annonce

La difficulté de mettre en cause les auteurs

Dans l’état des lieux, Emmanuelle Piet (CFCV, Collectif Féministe Contre le Viol) a souligné les reculs qui touchent aujourd’hui la protection des mineur-e-s victimes de violences et Marie-France Casalis (CFCV), qui a décrypté le fonctionnement des agresseurs, a opportunément souligné que la parole des victimes existe mais qu’elle n’est pas reçue : Ce n’est pas leur parole qui est interdite, ce qui est interdit c’est d’accuser les auteurs de violences sexuelles, a-t-elle rappelé. Saluant les avancées, comme la récente ordonnance de protection pour les victimes de conjoints violents et l’ensemble des lois qui sanctionnent, elle a exprimé un regret : Il manque la pénalisation des clients prostitueurs. Un constat que nous partageons, tout comme nous partageons l’analyse de Muriel Salmona, psychiatre et psychotraumatologue à l’origine de cette journée, lorsqu’elle défend la nécessité de comprendre les mécanismes du psychotraumatisme lié aux violences subies ; traumatisme dont nous pouvons observer les symptômes chez de nombreuses personnes qui ont connu la prostitution (notamment la dissociation) et dont la connaissance permettra, nous l’espérons, d’identifier les conséquences destructrices.

Un impact catastrophique sur la santé et la qualité de vie

Pour Muriel Salmona, les violences affectent la vie affective, sociale, scolaire, professionnelle et peuvent durer des années, voire toute une vie, si les troubles ne sont pas traités. La France, comme d’autres pays, est très en retard sur la prise en charge des victimes. Nous commençons seulement, grâce aux découvertes de la neurobiologie, à comprendre les mécanismes psychotraumatiques. Pour l’instant, les victimes sont abandonnées à elles-mêmes, le plus souvent condamnées à mettre en place des stratégies de survie et d’auto-traitement. Elles sont stigmatisées, marginalisées, voire psychiatrisées parce qu’on ne les comprend pas. Or, les blessures neurologiques se réparent, et d’autant mieux que l’on intervient tôt.

Muriel Salmona a patiemment décrit le fonctionnement de ces mécanismes psychotraumatiques, anesthésie psychique et physique, état de dissociation (être spectateur ou spectatrice de soi-même)… Selon elle,

la dissociation est le signe qu’apparaîtront de futurs troubles psycho traumatiques. La mémoire traumatique est une bombe à retardement ; elle peut surgir n’importe quand et redéclencher la même détresse, les mêmes sensations. Il est difficile pour la victime de faire un lien entre le symptôme et ce qu’elle a vécu comme violence antérieure.
La vie devient un terrain miné et la victime met en place des conduites d’évitement pour ne plus vivre certaines situations, certaines émotions. Quand l’évitement ne suffit pas, elle passe aux conduites dissociantes, les seules à pouvoir calmer l’état de détresse. Il s’agit de redéclencher la disjonction du circuit émotionnel en augmentant le niveau de stress, ce qui entraine une anesthésie affective et physique, une dissociation et parvient à calmer l’angoisse. D’où le recours de ces personnes à des situations à risques qui mettent encore plus en danger ; choisir des amis inquiétants, avoir des pratiques sexuelles à risques, devenir délinquant-e, adopter des conduites dangereuses…
La sexualité est particulièrement en risque de rallumer la mémoire traumatique, ce qu’ont bien compris les prédateurs qui savent repérer les personnes concernées[[Et nous pensons ici aux proxénètes.]].

Pour Muriel Salmona, il y a une sexualité traumatisée, violente, qui permet de se dissocier, mais qui aujourd’hui est présentée dans les médias comme une sexualité normale.

Ces conduites dissociantes, mal connues, et qui engendrent une vulnérabilité accrue face aux agresseurs, sont aussi déroutantes pour les personnes qui les vivent que pour les professionnel-le-s, mal formés et mal préparés à les comprendre.

Beaucoup de travail reste donc à faire pour une vraie prise en compte et une vraie réparation des violences subies.

Déni et confusion

Sur la confusion et le déni, Marilyn Baldeck et Gwendoline Fizaine, de l’AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail), ont apporté un éclairage particulièrement cru. Marilyn Baldeck a procédé à un relevé de vocabulaire montrant le flou qui entoure la notion de violence faite aux femmes : phénomène, abus, dérapage, accident, chahut, interaction sexuelle… Le langage parle. On est ainsi auteur de violences au même titre que l’on est auteur d’un concerto. Dans le langage juridique, que dire des faveurs de nature sexuelle ou des viols sans violence ? Le mot caresses est couramment utilisé pour décrire un fait accompagnant une agression sexuelle. Les mots utilisés sont les mêmes que ceux employés pour décrire une relation amoureuse. Marilyn Baldeck relève ainsi le brouillage qui empêche la compréhension et la dénonciation des violences. Un brouillage qui accompagne l’habituel transfert de la responsabilité sur la victime ainsi que l’entretien des préjugés en vigueur.

Présomption de mensonge

Les représentantes de l’AVFT ont montré, preuves à l’appui, comment les stéréotypes façonnent les lois et leur application après avoir rappelé quelques données fondamentales. Les violences sexuelles sont la pierre angulaire des violences faites aux femmes ; contrairement à la présomption d’innocence garantie aux agresseurs, c’est la présomption de mensonge qui continue de peser sur les victimes. Enfin, le point de vue masculin est lourdement inscrit dans nos textes.

Ainsi le harcèlement sexuel est le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle. Est-il besoin de dire que la lecture adoptée est celle de l’agresseur et non celle de la victime ? Elles ont pointé par ailleurs les dommages causés par la notion, aujourd’hui très utilisée, de dénonciation calomnieuse qui permet de condamner les victimes et celle de consentement, consentement qui sert couramment à dédouaner les agresseurs. Elles ont ensuite procédé à un savant décryptage de la récente jurisprudence du viol, dont certains attendus vont jusqu’à la caricature : définitions à géométrie variable, affirmations péremptoires comme céder, c’est consentir ou un rapport sexuel non consenti n’est pas forcément un viol. Elles ont toutefois clos leur intervention sur quelques bonnes nouvelles : des décisions de justice montrant la prise en compte du point de vue de la victime et même des raisonnements qu’elles ont qualifiés d’avant-gardistes.

Ces deux mouvements parallèles – régressions/stagnations et avancées – ne peuvent qu’évoquer pour nous certaines décisions de justice, tout aussi contradictoires, concernant des personnes prostituées.

Des réponses possibles

Une table ronde a dans l’après-midi réuni de multiples intervenant-e-s de tous horizons pour avancer des réponses possibles aux violences : Ernestine Ronai de l’Observatoire sur les violences du 93, le docteur Gilles Lazimi, mais aussi des représentantes du GAMS, de Voix de Femmes, de l’association Le monde à travers un regard et du Mouvement du Nid (Claudine Legardinier).

Autour des travaux de Marie Moinard, auteure de la BD En chemin elle rencontre et de Catherine Cabrol avec son exposition Blessures de femmes, la journée a également été émaillée de vidéos, de lectures, de diaporamas, de phrases assassines, de témoignages destinés à donner une dimension de chair et de voix à des faits qui ne sont pas de l’ordre de la théorie mais bien de celui de la douleur. La pièce de Pia Divoka, Solinge, jouée par Laurence Vielle accompagnée par Jeanne Added, a de ce point de vue parfaitement réussi à ajouter aux diverses interventions et réflexions le poids du vécu.


Association Mémoire traumatique et victimologie

118 av. du Général Leclerc

92340 Bourg-la-Reine

Elle a édité, avec la Délégation aux droits des femmes et de l’égalité d’Ile-de-France, une plaquette, fort bien faite, d’information médicale sur les conséquences des violences.

Elle est téléchargeable sur le site :

Mémoire traumatique et victimologie

l’association a également mis en ligne un blog :
Stop aux violences