En plan moyen, la caméra fixe un visage. Celui d’une femme assise à l’arrière d’une voiture. Elle regarde au dehors, à travers la vitre. Il fait nuit. Le plan dure de longues minutes. Une tension s’installe. Qui est cette femme et où va-t-elle ? Le plan suivant, très large, montre le chauffeur du minibus, qui transporte cette femme, en pleine discussion avec un autre homme. Ils parlent de sport et de voitures.
Il aura suffi de deux séquences au réalisateur d’Europa, le Portugais Pedro Caldas, pour poser deux mondes. Le premier est celui auquel appartient désormais cette Cap-Verdienne qui, pensant avoir trouvé un travail en Europe, se retrouve prise au piège d’un réseau de prostitution. Le second est celui de ces hommes impliqués dans le trafic de femmes et qui, malgré la violence dont ils sont responsables, parviennent à se comporter « normalement », étrangers aux drames qui se jouent sous leurs yeux. Par la suite, la jeune femme sera enfermée seule dans le noir de longues heures avant d’être violée sous la menace d’une arme et d’aller grossir les rangs des prostituées de toutes origines.
En 2005, j’ai lu dans la presse portugaise les témoignages de deux femmes qui avaient réussi à échapper à des réseaux de prostitution mafieux. J’ai été très marqué par leur expérience. Je me suis alors intéressé au sujet et, pour mon film, j’ai pris contact avec des associations d’aide aux prostituées
, explique le cinéaste.
Certains acteurs, tous des amateurs, sont des personnes rencontrées lors de cette phase de documentation. Le Biélorusse qui joue le rôle du chef mafieux et viole l’héroïne n’est autre, dans la vie, qu’un des avocats investis dans la lutte contre les réseaux de prostitution au Portugal.
Pourtant, Pedro Caldas tenait à aborder le sujet en s’en remettant à la fiction :
À mon sens, cette forme narrative permet une approche bien plus pertinente de la réalité qu’un documentaire ou qu’un reportage. Ainsi, je peux choisir la distance à laquelle placer ma caméra, éviter de trop me rapprocher et de tomber dans le piège d’une forme de pomographie visuelle. Selon moi, le cinéma est aussi une question de morale. Je me devais de respecter mon sujet, et à travers elle les femmes qu’elle représente, sans la violenter cinématographiquement.
De fait, en dix-neuf minutes et grâce à une réalisation très aboutie, le réalisateur rend compte avec sobriété et efficacité, des destins qui se brisent dans les réseaux de prostitution. Ce phénomène a explosé au Portugal ces dernières années.
De plus en plus de Nigériennes, de Brésiliennes, d’Italiennes et de filles de l’Est tournent dans les bordels locaux avant d’être envoyées dans toute l’Europe, constate Pedro Caldas qui a choisi de nommer son film Europa car malheureusement cette histoire peut se dérouler dans n’importe quelle ville européenne
Le court-métrage a été présenté à l’Encouters Short Film Festival, à Bristol, en Angleterre (du 18 au 23 novembre) et à l’International Short Film Festival de Leuven, en Belgique (du 29 novembre au 6 décembre).