Gunilla Ekberg, parlementaire

1787

En Suède, les femmes et les enfants ne sont pas à vendre.

Quelles raisons ont amené la Suède à voter cette loi ?

On ne peut pas défendre l’idée d’une égalité sociale, économique et politique des hommes et des femmes et accepter que des femmes et des jeunes gens, en majorité des filles, soient des objets achetables, vendables et exploités sexuellement.

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Dans un certain nombre de pays comme les Pays-Bas ou l’Allemagne, la prostitution a été normalisée comme « travail du sexe », comme choix de carrière légitime ; une classe de femmes est alors marginalisée et contrôlée pour le service sexuel.

À l’inverse, la Suède a fait le choix d’une société pleinement démocratique où l’égalité des chances soit un but prioritaire, où les femmes et les jeunes filles puissent vivre exemptes de toute violence masculine. Elle a donc opté pour une politique de tolérance zéro en matière de prostitution et de trafics d’êtres humains. L’axe qu’elle a choisi pour faire reculer la prostitution est original puisqu’il s’attaque à la demande, c’est-à-dire aux « clients », qui sont la cause essentielle du système. Non seulement les personnes prostituées ne sont pas poursuivies, mais elles peuvent bénéficier d’une aide pour sortir de la prostitution.

Comment avez-vous réussi à faire accepter cette loi par l’opinion publique ?

Il a fallu beaucoup d’information et d’éducation pour battre en brèche des idées reçues immémoriales sur le mythe du « plus vieux métier du monde ». Depuis des décennies, la Suède privilégie dans les écoles une éducation égalitaire.

Plus récemment, après le vote de la loi, nous avons mis en place une politique de formation en direction des policiers, des hommes dans leur grande majorité, plus enclins à l’origine à prendre le parti des coupables que des victimes.
En 2002 et 2003, nous avons mené, avec sept autres pays, une grande campagne nordique et balte contre la prostitution et les trafics de femmes auprès des autorités, des ONG, des médias et de l’opinion publique. Nous avons également organisé en Suède une campagne nationale d’affichage sur le thème de la prostitution ; les affiches, visibles dans les rues, aux arrêts de bus ou dans les stations de métro, ne montraient pas des prostituées mais uniquement des hommes clients. Aujourd’hui, 80 % de la population suédoise est favorable à la loi.

Que savez-vous des clients de la prostitution en Suède ?

D’après nos enquêtes, un homme sur huit, soit environ 13% des hommes majeurs ont au moins une fois acheté les services d’une personne prostituée. Et ce sont les hommes qui ont déjà plusieurs partenaires sexuels qui sont les premiers clients de la prostitution ! Pas du tout les pauvres esseulés ou handicapés que l’on veut bien nous décrire. Information intéressante, une étude menée à Stockholm en 2000 précise que 10% des jeunes garçons âgés de 16 à 25 ans ont déjà payé pour un service sexuel.

Quels sont les résultats de cette loi depuis 1999 ?

Depuis l’entrée en vigueur de la loi en 1999, le nombre des femmes concernées par la prostitution de rue a diminué de moitié et le recrutement des nouvelles a été quasi stoppé. Les femmes étrangères ont disparu de la voie publique. De plus, la police judiciaire confirme que la traite est en recul dans notre pays. Les réseaux trouvent trop coùteux et trop compliqué d’investir en Suède et se tournent vers des destinations plus « accueillantes », des pays où l’industrie de la prostitution est acceptée et normalisée.

Pour 9 millions d’habitants en Suède, on estime aujourd’hui le nombre des prostitué-e-s à environ 1500, contre 2500 en 1999. On peut comparer ces chiffres à ceux du Danemark (4,5 millions d’habitants) : le nombre des prostituées serait passé dans le même temps de 2000 femmes à 5500, voire 7800 en 2004 ! Et 10 000 à 15 000 femmes d’Estonie, de Russie, de Lettonie et de Lituanie sont envoyées chaque année en Finlande pour y être prostituées.

Côté clients, combien ont été interpellés ou condamnés ?

Selon nos dernières statistiques, 754 hommes ont été interpellés entre janvier 1999 et septembre 2004. 140 ont été condamnés ou ont plaidé coupables pour achat de services sexuels entre 1999 et 2002 (nous n’avons pas encore les chiffres de 2003 mais ils devraient être en augmentation). Le plus âgé avait 70 ans, le plus jeune, 16 ans. En outre, la loi est extraterritoriale et s’applique aussi aux forces de maintien de la paix à l’étranger. En 2002, des officiers suédois en poste au Kosovo ont été démis de leurs fonctions pour avoir usé sexuellement de femmes prostituées dans des bordels locaux.

Cette loi est-elle vraiment efficace ? Ne renforce-t-elle pas la clandestinité de la prostitution ?

A ceux qui nous accusent d’avoir condamné un nombre relativement faible d’hommes clients, nous posons une question : faut-il renoncer aux lois condamnant la criminalité financière sous prétexte qu’elles sont peu appliquées ? Et nous répondons que notre loi a d’abord une importante portée symbolique.

En Suède, les femmes et les enfants ne sont pas à vendre. Quant à l’argument de la clandestinité, il nous semble que l’utilisation d’Internet ou du portable se développe autant dans d’autres pays ; elle est d’abord la conséquence des développements technologiques et elle n’a pas attendu la loi.

La prostitution ne peut pas être complètement clandestine ; il s’agit d’un commerce, la police sait très bien où sont les lieux de prostitution. En tout cas, notre loi peut se féliciter de ses résultats : ainsi, sur les 130 personnes prostituées qui ont contacté un groupe d’assistance de Stockholm ces trois dernières années, 60% ont totalement quitté la prostitution.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.