Le corps et l’argent

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Dans un essai brouillon et décousu, Le corps et l’argent, ce directeur de recherches au CNRS, pour qui la seule limite à la morale consiste à ne pas nuire aux autres, déplore en effet que les questions du don d’organes, de sang ou de sperme, de la gestation pour autrui ou encore la prostitution, sur laquelle l’auteur appuie majoritairement sa démonstration, soient abordées à travers un prisme moral alors qu’elles relèvent uniquement, selon l’auteur, de la liberté individuelle.

Ruwen Ogien dénonce ainsi l’extension de la sphère des échanges bloqués et entreprend de désacraliser le don en repensant l’opposition entre ce dernier et la location ou la vente.

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Selon lui, non seulement les rapports sexuels payants et anonymes ne sont pas moralement inférieurs aux rapports gratuits mais ils auraient même une dimension éthique jusqu’à présent trop négligée, aux motifs que le don n’est pas toujours altruiste, l’échange tarifé pas toujours égoïste et que sexualités payante et gratuite peuvent très bien coexister.

Aux seules prostituées de définir la nature de leur activité : « simple » mise à disposition de leur corps et de leur sexe contre rémunération ou métier à part entière. Ce serait une grave erreur d’abandonner l’idée que le rapport sexuel payé pourrait être un travail ou un service comme un autre assure d’ailleurs ce spécialiste en philosophie morale, qui n’hésite pas à banaliser la prostitution en la comparant aux services proposés par un kinésithérapeute ou un coiffeur.

Ainsi, pour l’auteur le commerce du corps en général, assistance sexuelle aux personnes handicapées comprise, ne devrait pas être réprouvé mais régulé. En matière de prostitution, cela impliquerait uniquement un encadrement des conditions d’exercice comme des possibilités de reconversion pour les volontaires. Sourd aux arguments de « dignité humaine » ou de « marchandisation », balayés au prétexte qu’ils n’éclairent pas le débat et que faire commerce des éléments ou des fonctions du corps ne signifie pas du tout commercialiser le corps lui-même, Ruwen Ogien ne se prive pas d’accuser les abolitionnistes de paternalisme et leur reproche des arguments misérabilistes, sensationnalistes, fallacieux.

Un classique. D’autant plus malhonnête que les arguments qu’oppose l’auteur pour défendre la prostitution sont honteux. Il assure ainsi que la reconnaissance de la prostitution comme métier permettrait par exemple aux prostituées sans-papiers de légitimer leur demande de régularisation ou que revendiquer la liberté de se prostituer, c’est aussi défendre la liberté de ne pas se prostituer et donc rejeter toutes les formes avérées d’esclavage sexuel. Toutes notations purement théoriques, qui révèlent une méconnaissance abyssale du sujet dont l’auteur prétend parler.

Au final, en récusant toute démarche de « morale-fiction », qui aurait consisté à expérimenter une pensée qui échappe à tout cadre moral, et qui aurait pu être intellectuellement séduisante si elle était assumée, l’auteur renonce au seul intérêt qu’aurait pu présenter l’ouvrage. Et bien que mis à mal dans Le corps et l’argent, peut-être est-il plus sage de conclure avec Kant :
l’offre de sexe contre de l’argent n’est rien de plus (…) qu’un consentement explicite à se faire utiliser comme un objet pour la satisfaction d’un autre, c’est à dire comme une simple moyen au service des fins d’autrui.