Tea-Bag

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Comme des ombres sur la terre.

Elles viennent d’Iran, d’Afrique de l’Ouest ou de Russie. Elles ont fui des situations tragiques pour se retrouver clandestines, invisibles, quelque part au nord de l’Europe… Avec « Tea-Bag », le romancier suédois Henning Mankell nous livre un conte social sur l’immigration qui rend hommage au courage des femmes.

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On parle toujours des hommes qui quittent leur pays pour trouver du travail, mais il y a aussi beaucoup de jeunes femmes qui arrivent en Europe, et pas seulement pour se prostituer. J’ai voulu parler d’elles, déclarait Henning Mankell au magazine Lire lors de la publication de « Tea-Bag ».

Ce conte social met en scène une rencontre improbable : celle de Jesper Humlin, poète en panne d’inspiration noyé dans ses problèmes personnels (ses conflits avec sa mère, sa compagne, son éditeur) et de trois jeunes étrangères, arrivées clandestinement en Suède, Leïla, Tania et Tea-Bag.

En se moquant de son personnage principal, un quinquagénaire hypocondriaque à la Woody Allen, et en le confrontant à l’odyssée tragique des migrantes, l’auteur fait ressortir l’énergie et la force de caractère des jeunes femmes, qui ont échappé à des situations extrêmes, comme l’enrôlement dans des maisons d’abattage, décrit de façon terrifiante par Tania, la jeune Russe. Il s’est planté devant moi, très près, et a dit qu’on logerait dans les chambres à l’étage. On devait être au service des hommes qui nous seraient envoyés. (…) Pour nous faire comprendre qu’il ne plaisantait pas, il nous a fait avancer jusqu’à une table qui se trouvait à côté du canapé. Sur la table, il y avait une boîte (…) Il a ouvert la boîte et en a sorti deux bocaux en verre. Le premier contenait une bouche conservée dans le formol (…) Une paire de lèvres découpées dans le visage d’une femme.

Or, elles n’échappent au pire que pour connaître un sort peut être tout aussi cruel : vivre dans l’ombre, condamnées à l’invisibilité par une social-démocratie scandinave repliée sur son confort.

Sur un sujet grave, Henning Mankell réussit un roman tantôt humoristique, tantôt émouvant, sans verser dans le mélo. Car ses personnages féminins ne se posent jamais en victimes. Au contraire, ces femmes symbolisent la créativité et le courage dont peut faire preuve l’humanité, y compris dans les pires situations. Une réserve cependant : peut-être aurait-il fallu que l’auteur les considère avec un peu moins de révérence afin que leur récit sonne un peu moins « politiquement correct ».