Aux prises avec d’éternels problèmes de criminalité dans son quartier de prostitution, la ville d’Amsterdam fait aujourd’hui face à un nouvel écueil : le défilé, nuit et jour, de hordes de « touristes » égrillards et plus ou moins alcoolisés qui prennent le quartier rouge pour un parc d’attraction où ils s’adonnent, sans aucun respect pour les femmes, aux joies du selfie.
Les autorités s’en sont émues, à juste titre, à commencer par la nouvelle maire de la ville, Femke Halsema, de la Gauche Verte, élue en juillet 2018, qui a jugé cet état de choses humiliant
et inacceptable
. Udo Kock, conseiller municipal du parti social-libéral D66, a estimé de son côté qu’un tel manque de respect n’était plus acceptable à notre époque
[[-The Guardian, « Amsterdam to ban ‘disrespectful’ tours of red-light district », 20/03/19]]. On ne saurait mieux dire.
Les voyages low cost, le parfum sulfureux de l’herbe et des vitrines, ont fait d’Amsterdam une destination saturée : 19 millions de visiteurs par an, 1000 visites guidées par semaine dans De Wallen, le quartier rouge. Les femmes prostituées, qui dénoncent les comportements grossiers des fanas du Smartphone, se plaignent de l’effet négatif sur leur « business ». De plus, elle craignent la diffusion des films et photos dans un pays où, malgré les discours de normalisation, la mauvaise image associée à l’activité n’a pas diminué.
A compter du 1er janvier 2020, des mesures seront donc prises pour interdire les groupes touristiques dans le quartier rouge et des amendes pour empêcher les visiteurs d’arriver éméchés ou sous l’emprise de drogues. La nouvelle maire de la ville a même déclaré vouloir proposer des réformes d’ici l’été 2019. Il pourrait s’agir d’une augmentation du nombre de permis au delà de la zone autorisée. Rappelons que les personnes prostituées sont théoriquement tenues de demander un permis et de s’enregistrer à la Chambre de commerce (ce que beaucoup refusent de faire).
Cette affaire nous inspire quelques réflexions. Manifestement, qu’une femme soit prostituée fait que le passant ne se croit plus tenu de la respecter. Ce qu’elle désire, ce qu’elle ressent, son droit au respect et à l’intimité comptent pour rien. On peut la traiter avec la pire désinvolture. Rien de nouveau, hélas. Un quartier de prostitution est un lieu où des hommes se lâchent, comme le montrent les amendes prévues pour ceux qui y urinent n’importe où.
Mais alors, plusieurs questions se posent.
S’il n’est plus acceptable de photographier sauvagement ces femmes comme des attractions touristiques, en quoi l’est-il plus de les placer dans des vitrines comme de vulgaires produits de consommation ?
En quoi les prendre pour des exutoires que l’on peut harceler sexuellement, sans égard pour leur propre désir et plaisir, est-il plus admissible ?
Et puis enfin, en quoi le client prostitueur serait-il à l’abri des comportements dénoncés ? Comment est-on sùr qu’il va se montrer respectueux ? Les boutons d’urgence tant vantés par les établissements néerlandais, comme par tous les pays réglementaristes, et qui permettent aux femmes d’appeler au secours, sont la preuve que les violences des prostitueurs sont connues de tous. Comment expliquer que rien ne remette en cause leur bon droit ? Et pourquoi l’existence même de ces fameux boutons d’urgence n’est-elle pas vécue comme un scandale, pire encore que des photographies intempestives ?
Une nouvelle fois, un pays réglementariste montre ses incohérences comme son incapacité à pousser la réflexion au delà de problèmes de forme. Les questions de fond restent impensées. Il est vrai que les profits liés à l’activité prostitutionnelle sont considérables pour le pays. On se contentera donc, une nouvelle fois (jusqu’à quand ?), de simples moulinets avec les bras!
Image par PublicDomainPictures de Pixabay.