Deux jeunes femmes thaïlandaises ont été découvertes assassinées dans un appartement du 11e arrondissement de Paris, le 23 décembre 2008. Elles se trouvaient en France depuis avril et novembre 2007, en situation irrégulière, et étaient prostituées. Le meurtrier, un « client », a tenté d’excuser son geste en invoquant une rupture sentimentale
.
Ce « fait divers », selon l’expression consacrée, appelle plusieurs commentaires.
– La présentation des faits dans la presse.
Il est question du meurtre de deux prostituées thaïs
, de deux asiatiques
, de deux filles
qui gravitaient dans le milieu de la prostitution
[[La Dépêche du Midi, 25 décembre 2008.]]… Des prostituées, des filles ; jamais des femmes. La prostitution est une activité qui prive les femmes concernées de leur statut le plus élémentaire de femme, de personne humaine. Insidieusement, le meurtre en vient presque à s’expliquer, voire à se justifier. En tout cas, il scandalise moins. Ce ne sont que des prostituées…
– La « normalité », « l’acceptation » de la prostitution irrigue tous les compte rendus.
Pas un mot sur l’itinéraire de ces jeunes femmes. Qui songe seulement à s’interroger sur leur vécu ? L’arrachement à leur pays, à leur entourage, la maigre et dangereuse survie au bout du monde, le statut de sans papiers… Aucune interrogation sur les réseaux éventuels, pas l’ombre d’une remise en cause du comportement des hommes qui s’estiment en droit de profiter de cette détresse pour monnayer des actes d’exploitation sexuelle. Une histoire trop banale sans doute.
– Le rôle clé des « clients » prostitueurs dans les actes de violence et les meurtres.
Nul ne songe à rappeler un fait pourtant dénoncé dans de multiples travaux et enquêtes. Quel que soit le lieu de prostitution — et pas seulement dans la rue –, le premier agresseur potentiel est le « client ». Ce fait révèle les sombres motivations qui animent un certain nombre d’hommes pour qui la personne prostituée symbolise, incarne, le sexe féminin auquel ils vouent une haine profonde. La prostituée, constituée dans l’imaginaire social comme une personne différente, d’une autre « nature », apparaît ainsi comme facilement exploitable, méprisable. Elle est aux yeux de certains « clients » une personne qu’il est indifférent de maltraiter et d’agresser, voire d’assassiner.
– Les articles prennent soin de relayer la détresse de l’accusé.
L’invocation de la rupture sentimentale
, par l’agresseur rappelle la tentative traditionnelle des meurtriers qui cherchent à excuser leurs crimes au nom de motifs dits passionnels
. On cherche en vain l’usage du même traitement pour les victimes qui se livraient à la prostitution
, fait qui ne saurait leur garantir que l’indifférence de la société.