Zéromacho : des hommes disent NON à  la prostitution !

1918

C’est une affiche qui a tout déclenché. « Les hommes rêvent d’y entrer » disait le slogan de la sérieMaison close, sur Canal Plus[[2010. Une bande annonce, sur Internet, ne s’adresse qu’aux téléspectateurs hommes en leur susurrant : Bienvenue au paradis.]]. Les hommes, vraiment ? Tous les hommes ? Tous les hommes rêvent-ils de soumettre sexuellement, moyennant un billet, des femmes qui ne les désirent pas ou qu’ils dégoûtent ? D’affirmer leur domination et leur pouvoir en toute indifférence à  l’autre ?

Le sang de Florence Montreynaud, historienne féministe, ne fait qu’un tour. Non, les hommes ne sont pas tous les mêmes. Non, rien ne justifie pareille propagande. Une idée germe : bousculer le profond silence de ceux qui ne paient pas « pour ça », constituer un réseau international d’hommes engagés contre le système prostitueur.

Certains hommes font partie du problème, d’autres peuvent contribuer à  le résoudre. Sortir la question de la prostitution du périmètre féminin pour en faire une question universelle en impliquant les hommes : la stratégie a déjà  fait ses preuves en Somalie contre l’excision. C’est ainsi qu’elle lance en 2011 le réseau Zéromacho, un mouvement masculin de résistance formé autour du manifeste « Nous n’irons pas au bois ».

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Florence Montreynaud n’est pas une théoricienne désincarnée. Avant de présenter les témoignages de ces hommes, qu’elle est allée recueillir dans dix-huit pays, elle retrace son propre cheminement. Elevée dans une société traditionnelle qui scinde le monde en deux, aux hommes l’argent et le pouvoir, aux femmes le service sexuel et domestique et l’horreur des usines à  sexe de Bombay et d’Amsterdam, elle comprend très tôt que la prostitution concentre toutes les oppressions : sexiste, raciste, jeuniste, classiste, colonialiste[[Amours à  vendre, les dessous de la prostitution, Glénat, 1993.]]! Pour en parler, elle s’arme (si l’on peut dire) de mots justes[[Florence Montreynaud publie parallèlementLe roi des cons, Quand la langue française fait mal aux femmes, éditions Le Robert.]] qui refusent de valider la domination machiste et abandonne les « amours tarifées » pour l’esclavage sexuel et les « clients » pour les prostitueurs.

Décidée à  changer le monde[[Voir son autobiographie, art628, 2014.]], pas moins, elle prend son bâton de pèlerine pour recueillir les confidences d’hommes de tous horizons politiques et de tous âges (certains connus comme Stéphane Hessel ou Guy Bedos), et qui ont bien voulu, chose inédite, réfléchir à  leur propre expérience face à  une femme inconnue. En France, en Suède, en Allemagne, au Portugal, au Québec, en Turquie! On suit donc ceux qui y sont allés comme ceux qui ont refusé. Des habitués, des repentis. Leurs propos intimes, à  la portée politique et philosophique, sont à  la fois simples et inventifs. L’un dit son refus de faire l’amour avec la mort, un autre désigne le prostitueur comme un ennemi politique.

Tous ont parcouru un chemin de réflexion avant d’affirmer publiquement leur refus d’être complices d’un système d’oppression et de mépris. J’aime quand le désir est partagé, Il faut élever les hommes, non à  devenir des « hommes » mais des êtres humains. Leurs mots expriment le rejet d’une masculinité prédatrice, même dans les pays qui ont normalisé l’exploitation prostitutionnelle.

Au détour des pages, on apprend aussi pourquoi Mozart et Montaigne n’étaient pas des prostitueurs et on goùte l’humour d’un porte-parole de Zéromacho, Gérard Biard, qui prône la masturbation auprès des partisans de l’autogestion. Enfin, on y trouve un point bienvenu sur la politique suédoise, quotidiennement dénigrée par le lobby de l’industrie du sexe. Dans ce pays pionnier dans la lutte contre toutes les violences (y compris sur les enfants), même un procureur d’abord hostile à  la loi qui pénalise les prostitueurs, Thomas Ahlstrand, clame aujourd’hui haut et fort sa nécessité. Une convergence se dessine dans ces pages pour tracer les lignes d’un changement en marche. On les referme avec une énergie toute neuve et l’espoir qu’un autre monde est vraiment possible.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.