Anora, palme d’or à Cannes

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Anora, de Sean Baker, a reçu la palme d’or à Cannes. Son héroïne est une femme prostituée dans un club de strip-tease

Avant même sa sortie sur les écrans, la Palme d’Or 2024, Anora, de Sean Baker, a fait couler beaucoup d’encre. En dédiant son film à toutes les « sex workers », le réalisateur faisait-il la promotion du « travail du sexe » ?  Le film est heureusement plus subtil.

Le mot lui-même n’est jamais prononcé. Si Anora (Ani) est strip-teaseuse, elle ne porte aucune revendication politique dans le film, si ce n’est celle de disposer de ses droits humains fondamentaux : ne pas être réduite à la « hooker » (« pute » en anglais), exercer ses droits et sa liberté « entre adultes consentants », dit-elle.

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Le réalisateur se réfère au conte de Cendrillon et nous fait ainsi penser à « Pretty Woman » (lui-même inspiré du conte). Mais ce qui aurait pu être vu comme un conte de fées trompeur est plutôt une critique acide du pouvoir de l’argent. 

Un pouvoir qui fait croire à Anora qu’elle pourra s’en sortir, même si c’est en étant « achetée » toute une semaine ou plus tard en se mariant à Las Vegas avec le fils d’un oligarque russe. Au fil du conte de fées, il semble qu’Anora finisse par croire être cette « Pretty Woman » qui parviendrait à sortir de sa condition grâce à un « prince charmant », dans ce qui deviendrait une histoire d’amour…

Anora, pas Cendrillon ni Pretty Woman

Anora de Sean BakerMais si Pretty Woman laissa entendre à tant de femmes à travers le monde que oui, on pouvait rencontrer un Richard Gere, beau, riche et amoureux, et ainsi sortir de la prostitution, avec Anora on est plutôt dans le côté face du conte de fées, celui où tout s’effondre.

L’argent ne peut pas s’immiscer dans la rencontre humaine ou sexuelle sans dégât. Pour briser le mythe de Cendrillon, Baker choisit comme prince charmant « le fils de l’oligarque », archétype des excès du capitalisme et -selon nous, du prostitueur menteur et égocentré.

Alors que les sbires mafieux du père richissime violent le domicile conjugal où elle pense avoir trouvé refuge, Ani se défend avec une énergie et une maestria aussi jouissives qu’improbables. C’est à cette occasion qu’elle va découvrir que son fameux « prince charmant » n’est qu’un lâche. Elle réalise peu à peu que pour lui tout n’était qu’un jeu d’enfant gâté et on ajoutera encore, de prostitueur plein aux as (il a de l’argent, il fait ce qu’il veut).

A la fin, seuls les deux personnages « en bas de l’échelle » de l’histoire, Anora et le voyou qui l’a attaquée, qu’elle fascine par son honnêteté, sa candeur et son courage, peuvent se regarder dans les yeux. Même si cela demande à Ani de craquer et d’abandonner ce masque que la prostitution avait imprimé sur son visage.

De fait, on peut comprendre que le réalisateur ait voulu dédier son film à toutes les « sex workers » (c’est le terme neutre aux Etats-Unis, dont on déplore pourtant qu’il invisibilise la violence d’un système au bénéfice exclusif des hommes et de leurs désirs de possession). Car, ce qu’il dit au fond, c’est que dans le système capitaliste et patriarcal, les personnes en situation de prostitution ne sont pas les responsables et qu’elles sont aussi bien souvent les seules à ne pas perdre leur dignité.

Au final, un film qui peut parfois être agaçant (et vraiment long) car il reste dans une fiction très éloignée de la réalité, mais tout de même intéressant.

Encadré : male ou female gaze ?

Le premier plan du film : une paire de fesses en gros plan, dans un club de strip-tease. Une image voyeuse ou trompeuse ? Va-t-on une nouvelle fois avoir un regard masculin qui s’excite sur la violence infligée aux femmes ?

Dans le premier quart du film, on assiste en effet à une succession de scènes sexuelles. Le cadre utilisé par le réalisateur nous a interrogées : érotise-t-il la violence dans le cadre prostitutionnel ? Si le film commence par ce gros plan voyeur, le regard caméra nous a semblé ne pas se limiter à cela ensuite. Lors des scènes où les femmes se « frottent » aux hommes dans le club, les prostitueurs apparaissent pitoyables et trop contents de croire à tous les mensonges qui leur sont servis.

Ensuite, lorsque Baker montre les actes sexuels du « « conte de fées, il le fait très rapidement et de loin. Les deux personnages ne sont pas tout à fait ensemble dans le cadre, excluant ainsi toute idée de « relation » sexuelle. En tout cas, ils ne se regardent jamais. L’ennui sur le visage d’Ani en est un autre indice. Et c’est bien seulement lorsque le petit mafieux, à la fin du film, veut la regarder dans les yeux et l’embrasser, qu’Anora craque et redevient elle-même, dans ce qui apparait enfin comme le début d’une vraie rencontre.

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