Bordel

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Sophie Bonnet, grand reporter, a eu l’idée de passer une semaine dans la salle commune d’un bordel suisse, le « Nirvana » (nom d’emprunt) ouvert à Genève 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Si le lecteur, attiré par le titre, veut du salace, il en sera pour ses frais. Ici, ni voyeurisme ni apologie, mais la description d’une lente asphyxie ; un quotidien d’emmurées vivantes : des femmes que l’absence d’avenir, de formation, d’emploi, relègue au bordel et qui semblent (qui semblent…) s’en trouver bien.

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Sophie Bonnet, grand reporter, a eu l’idée de passer une semaine dans la salle commune d’un bordel suisse, le « Nirvana » (nom d’emprunt) ouvert à Genève 24 h sur 24 et 7 jours sur 7. En récoltant les paroles échangées, sur le vif, elle n’entend pas défendre une position politique sur la prostitution mais cherche, semble-t-il, à démythifier le « conte de fée » présenté par la tenancière.

Pari tenu. Mais l’entreprise est inévitablement vouée à l’ambiguïté. Car un matériau brut est-il jamais un matériau brut ? A plus forte raison dans un bordel ? Qu’on le veuille ou non, cette observation sans analyse aboutit à une banalisation de fait. Tout est aplati : la description des femmes qui obéit aux critères des hommes prostitueurs (moche, vieille ou pute), la liste des prestations proposées : fist anal, supplément sodomie, soumission, séance url, avec les prix. Le regard porté, les mots employés, sont ceux des proxénètes : salon, entretien d’embauche, planning, prestations… Les dialogues des femmes prostituées entre elles mais aussi des tenanciers et de deux clients donnent à chacunE le même niveau de « vérité » et de légitimité.

Si le matériau ne manque pas d’intérêt, il est porteur d’une grande frustration. Parfois affleurent des notations furtives qui en disent long mais qui s’éteignent à peine prononcées. Si vraiment être pute c’était si facile, toutes les femmes le deviendraient, toutes. On n’est pas nombreuses à tenir le coup. Paradoxalement, c’est souvent la tenancière qui se permet de décrire un milieu pourri, avant de tenir ce propos glacial : maintenant j’ai le statut de chef d’entreprise, donc je dois faire rentrer l’argent.

À moins de savoir lire entre les lignes, on peut refermer le livre avec un simple sentiment d’ennui. Qui, sinon les plus informés des réalités du milieu, saura vraiment mesurer les remarques sur la docilité obligatoire, les 12 à 18 heures de présence par jour, le manque de sommeil confinant à la torture, l’absence de logement qui oblige à dormir par terre, le racisme ordinaire, la concurrence perpétuelle, l’engrenage qui fait accepter ce que l’on s’était promis de refuser, l’enfermement, le mensonge, la cruauté du vieillissement, l’usure ?

Ce qui est échangé n’est que l’écume du bordel. On tue le temps. Sous le regard de la tenancière et en situation d’attendre les clients, dans l’immédiateté, comment ces femmes pourraient-elles parler d’autre chose que de fringues, de fric, de maquillage ou de chirurgie esthétique ?

Nous qui entendons les témoignages de celles qui ont pris un minimum de recul, savons ce que contiennent les silences, les non dits. Au bordel, la règle, c’est de ne rien dire de soi aux autres, jamais ; de ne faire confiance à personne ; de ne rien dénoncer des violences subies dans les chambres, de peur d’apparaître comme faible et incapable de gérer. Au bordel, on ne parle pas.

C’est donc dans ce qui n’est pas dit que réside la vérité de la prostitution. On voit ici les canettes de Red Bull, pas forcément la poudre, évoquée d’un seul mot, coke, sans plus de détails. Au final, que sait-on de ces femmes et de ce qu’elles vivent ?

En souhaitant adopter une position de neutralité – pas de bourreaux, pas de victimes -, l’auteure ne court-elle pas le risque d’alimenter la grande entreprise d’euphémisation lancée par les proxénètes européens pour asseoir leur industrie ?

On retiendra en tout cas l’information qui traverse tout le livre : toutes ces jeunes femmes ou presque se présentent par wagons entiers parce qu’elles ont vu un reportage télé sur les bordels suisses. Nous avons maintes fois eu l’occasion de dénoncer le rôle de recruteurs zélés, de bras armé des proxénètes tenu par certains médias. C’est ici totalement confirmé.