Enfants perdus. Enquête à la brigade des mineurs

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Les enfants perdus que Claire Berest décrit dans cet ouvrage sont des jeunes en dérive dont la violence tient lieu de lien social. Pour mieux comprendre leurs errances, l’auteure s’est immergée pendant des mois dans le quotidien de la Brigade de protection des mineurs (BPM) de Paris. Elle a également rencontré les professionnels qui prennent en charge ces adolescents : magistrat, enseignant, éducateur spécialisé, pédopsychiatre. Cette enquête fouillée a permis d’apporter un éclairage saisissant sur la sexualité de ces adolescents, leur existence virtuelle à haut risque sur internet et sur la banalisation de la prostitution.

Jeux qui tournent mal, rapports sexuels soudain trash, où la question du consentement n’est pas posée : ces affaires apparaissent dans tous les milieux, privilégiés comme défavorisés, avec des auteurs et des victimes parfois extrêmement jeunes, raconte Claire Berest. Les enquêteurs de la Brigade de protection des mineurs (BPM) prennent quotidiennement en charge des crimes commis sur des enfants, et par des enfants qui peuvent banaliser ou dénier les violences commises. Un ado arrêté pour viol se défend par Oui, mais Madame, c’est une tchouine qui pounche ; littéralement une « pute » qui « baise ». Rien à voir avec la copine avec qui l’on ne couche pas, forcément !

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Dans les affaires de viols co (pour collectifs ou en réunion) très souvent commis par des mineurs, la victime n’a pas exprimé de refus parce qu’elle avait peur, ce qui permet aux agresseurs d’affirmer qu’elle était consentante. Selon eux, un viol c’est une fille qui pleure, que l’on contraint en la violentant. Non reconnues comme victimes, ces jeunes filles, en particulier celles issues de l’immigration, subissent en outre le jugement social sur leur personne qui doit être pure et sans tâche. Cette vision binaire de la pute et de la vierge a encore de beaux jours devant elle !

Les gamins ne respectent pas le corps des filles. Les filles ne respectent pas leur propre corps, et elles sont dans l’incapacité de dire non, souligne un enquêteur cité par Claire Berest.

Enfants numériques en danger

Nourris à la culture du numérique et influencés par le modèle de la star de la téléréalité Nabilla, ces digitivale natives[[Littéralement, « numériques natifs », la génération qui a appris l’usage d’internet et des « réseaux sociaux » au berceau, comme une langue maternelle.]] font étalage sans complexe de leur intimité sur les réseaux sociaux : être c’est se montrer. D’où le succès des sextape, ces fameuses vidéos sexuelles et pornographiques que les adolescents font circuler entre eux, au risque d’en perdre la maîtrise. La diffusion sur Internet d’images montrant des jeunes filles dans des positions humiliantes conduit certaines victimes à des actes désespérés. Camouflés derrière leur écran, les agresseurs harcèlent en toute impunité, ce qui réduit à néant compassion et remords.

Le corps, une marchandise

La Brigade des mineurs est régulièrement confrontée à des situations de prostitution chez les mineurs. Des enfants roumains y ont ainsi recours pour survivre. Autour d’eux, gravitent des pédophiles bien connus de la police qui se repassent les « tuyaux ».

Les enquêteurs traquent également les mineures qui se prostituent sur Internet en trichant sur leur âge ; On peut essayer de déceler en épluchant ces annonces celles qui sont mineures, quand elles disent par exemple qu’elles ne sont disponibles que le samedi et le mercredi ou à partir de 17 heures. Mais le résultat est infime, raconte l’un des enquêteurs cité par Claire Berest.  

Certaines jeunes filles se livrent à la prostitution pour des raisons qui échappent à tout le monde, comme dans le film Jeune et jolie de François Ozon. Que cherchent-elles? , s’interroge l’auteure. Une expérience limite pour se prouver qu’elles ont grandi à une époque où la sexualité se doit d’être libre ? Une réalité dans une société de surconsommation où les envies doivent être satisfaites immédiatement ?
La prostitution est dans l’air du temps, peut-être à titre de fantasme. Mais c’est un fait : elle a trouvé sa place dans l’imaginaire de la jeunesse, conclut Claire Berest.