La petite danseuse de 14 ans

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Qui se cache derrière « La petite danseuse de 14 ans », sculpture en cire d’Edgar Degas, aujourd’hui célèbre dans le monde entier, mais qui fit scandale à  l’époque ?
Camille Laurens a mené une enquête fouillée pour tenter de connaître le parcours de cette jeune fille qui s’était, pendant quatre ans, pliée à  la rude discipline de la pose pour le peintre impressionniste. Elle connut un triste destin, comme la plupart des petits « rats de l’opéra » à  la fin du XIXè siècle, contraints de se prostituer pour subvenir aux besoins de leur famille.

Degas n’a pas modelé une danseuse mythique, éthérée, mais « une travailleuse ordinaire, une besogneuse de l’ombre », souligne Camille Laurens, comme le fut son modèle, Marie Geneviève Van Goethem. Cette fille d’immigrés belges, était « petit rat » à  l’opéra, un rude métier pour les enfants de familles très pauvres. La mère de Marie, une blanchisseuse sans mari, avait contraint ses trois filles à  intégrer le Palais Garnier. Moyennant un salaire de misère, ces « ouvrières de la danse » étaient soumises à  une discipline de fer 6 jours sur 7,
enchaînant dix à  douze heures journalières de leçons, répétitions et de spectacles à  l’opéra. Après quelques années de dur labeur, Marie fut renvoyée du Palais Garnier pour absences trop répétées. L’adolescente posa alors pour les peintres, dont Degas.

Ces apprenties danseuses étaient appelées les « marcheuses » parce qu’elles passaient leurs journées à  exécuter des pas. Un surnom qui anticipe leur proche avenir sur le bitume ? En effet, « une autre source de revenu se profile derrière le petit rat, tolérée sinon reconnue », raconte Camille Laurens. La police comme la direction de l’opéra fermaient les yeux.
Sachant qu’une minorité d’entre elles deviendrait un jour célèbre, certaines mères cherchaient un riche protecteur parmi les messieurs abonnés aux spectacles du Palais Garnier pour leurs filles impubères (dès 8 ans!). C’est ainsi que l’on voyait ces bourgeois en chapeau haut de forme fréquenter les loges de l’opéra avec, à  leurs bras, de jeunes ballerines.
Camille Laurens rappelle ainsi que « le célèbre baron Haussmann, par exemple, défraya la chronique par la liaison scandaleuse qu’il entretint avec une jeune ballerine. » Durant cette époque jouisseuse, il était en effet de bon ton « d’avoir sa danseuse. »

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La mère de Marie Van Goeuthen a joué le rôle d’entremetteuse pour ses filles dont le corps était un outil de travail. L’une d’entre elles est parvenue à  échapper à  sa condition et à  devenir danseuse étoile. Marie, comme son autre sœur Antoinette, sont devenues prostituées.
Sur la fin de vie de Marie Van Goeuthen, Camille Laurens s’interroge : a-t-elle trouvé un protecteur qui l’a mis, comme sa sœur, à  l’abri du besoin ou est-elle morte pauvre et jetée ensuite dans une fosse commune ?

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Christine Laouénan
Journaliste indépendante et formatrice, Christine Laouénan est spécialisée dans les sujets de la santé et de la prévention auprès des jeunes. Elle a recueilli de nombreux témoignages de personnes prostituées dans le cadre de son travail pour Prostitution et Société et au cours de l’écriture de la biographie Je veux juste qu’elles s’en sortent, consacrée au militant abolitionniste Bernard Lemettre.