Lilya 4-Ever

1977

Un film « sur les gens riches qui pensent que tout s’achète et sur les pauvres qui doivent vendre tout ce qu’ils ont (…). Sur l’impression que ça fait quand on vous crache dessus ».

D’un réalisme virulent, et d’une rare justesse, le nouveau film de Lukas Moodysson plonge le spectateur au cœur d’une horreur banalisée. Celle de la prostitution et du trafic de femmes. Où l’on suit l’itinéraire de l’une de celles que l’on appelle « fille de l’Est ». Un film brillant, violent, nécessaire, dont on ressort groggy. Tant mieux.

Annonce

Lilya est une adolescente de 16 ans d’une banlieue monochrome des pays de l’Est. Sa mère l’abandonne le jour de son départ pour les États-Unis avec son compagnon. S’amorce alors le déclin. La jeune fille se retrouve seule face à un monde hostile qui l’exclut et la stigmatise. Volodya, un gamin de onze ans avec qui elle partage ses déboires, sera son unique îlot de tendresse. Manipulée par les promesses d’amours mensongères d’un habile rabatteur, elle échouera en Suède, séquestrée par un proxénète. Elle y perdra son identité et ses illusions.

Lukas Moodysson, qui attribue à son film une dimension politique, a su avec un brio exceptionnel mettre en scène ce cercle de la destruction. Le récit d’une enfance désespérée, livrée à elle-même, éperdument paumée. Quelque chose qui ressemble à une tragédie grecque. Les dispositions scéniques qui placent ce film – inspiré d’un fait divers – à la croisée de la fiction et du documentaire collent à son propos. Lukas Moodysson rend compte de la prostitution comme d’un processus, non comme d’une fin.

Les repères affectifs sont dynamités. Le monde des adultes s’avère impitoyable, sournois, calculateur. L’amour et l’amitié subissent des coups terribles. Ces liens qui unissent l’être à la vie ont été rompus. Inexorablement, Lilya chute. L’abîme est peuplé d’absences. Et Lilya manque de tout. Alors elle comble le temps présent du rêve d’une vie meilleure. En attendant, l’enfant en errance sniffe de la colle, boit et se prostitue à l’occasion. Dans le théâtre absurde de la misère humaine, Lilya jouera le rôle qu’on lui a imposé. Le corps se résigne et le visage se ferme.

Le cloisonnement s’inscrit également spatialement. L’espace se réduit au fur et à mesure autour d’elle. Tout au long du film, ses appartements deviennent des lieux-cages. À chaque fois il faut de nouveau faire ses malles. Ce ne sont pas des départs de plaisance dont il est question ici, mais d’une nécessité vitale. Pourtant, ces « voyages » qui ont tout de la fuite raccrochent les protagonistes à la vie tout en les entraînant vers le pire.

Certaines des scènes du film perturbent physiquement. Ainsi ces halètements d’hommes-chiens en rut qui lui passent dessus, indifférents à son dégoût autant qu’à sa douleur, sont insupportables. Le défilé des visages des clients contorsionnés laisse le spectateur impuissant et renforce l’horreur de ce que l’adolescente endure. Les musiques qui ponctuent le rythme effréné du film sont gorgées d’énergie exutoire et paradoxalement, elles permettent aux spectateurs de respirer de temps en temps.

Les acteurs sont bouleversants de vérité. Et l’on s’attache sans peine à ces personnages délaissés de tous, incarnés par le jeune couple tragique que forment Oksana Akinshina (Lilya) et Artiom Bogucharskij (Volodya), deux talentueux comédiens.

Lukas Moodyson définit Lilya 4-ever comme un film sur « l’envie de partir et de tout quitter (…), un film sur l’abandon (…). Sur les gens riches qui pensent que tout s’achète et sur les pauvres qui doivent vendre tout ce qu’ils ont (…). Sur l’impression que ça fait quand on vous crache dessus ».