La peur des autres apparaît comme un facteur de risque dans les récits des personnes ayant connu la prostitution. Il convient donc de travailler sur des comportements de communication, à la fois pour favoriser l’insertion des personnes mais aussi pour prévenir les relations violentes, en particulier entre filles et garçons.
Les difficultés relationnelles sont souvent très nombreuses chez les personnes qui ont connu la prostitution. La méfiance à l’égard des autres en général, et en particulier des hommes, reflète bien l’impact des nombrèuses violences qu’elles ont connues.
Anthony parlant des étapes de sa réinsertion nous dit par exemple qu’il n’avait «
aucun sens relationnel avec personne« , qu’il était «
souvent très agressif« , interprétant un sourire, un regard trop appuyé comme une attaque personnelle.
La crainte d’être reconnu-e comme ancienne prostitué-e explique cette peur des autres qui va parfois jusqu’à un retrait total de toute vie sociale. Ainsi certaines personnes n’osent pas sortir de chez elles, n’osent pas s’inscrire à des activités tout en rêvant de le faire. Cette solitude, qui devient un obstacle à l’insertion sociale et professionnelle peut aussi entraîner un retour à la prostitution. Mais, dans certains récits, ces difficultés relationnelles existaient de longue date.
Ainsi en est-il du cas de Marie qui nous dit que depuis son enfance elle a toujours été «
timide« , restant dans son «
coin« , de Noémie qui se souvient du regard des autres à l’adolescence «
toujours critique, moqueur« . Ou encore d’Elodie qui parle d’un «
manque d’exister« .
La peur des autres, un facteur de risque
Les difficultés à communiquer avec les autres et à s’estimer apparaissent comme un facteur de risque prostitutionnel quand un-e jeune entre dans la prostitution pour échapper à l’ennui, pour trouver un mode de vie excitant et hors norme parce qu’il, ou elle, ne se sent pas comme les autres, pas à la hauteur, ou bien pour ne pas mettre un terme à une relation amoureuse.
On constate alors que ce manque d’habiletés relationnelles ne leur permet pas d’affirmer leurs droits et d’exprimer leurs besoins et leurs émotions. Par peur d’être rejetés, ces jeunes n’osent ni demander, ni refuser. Ils ont tendance à se conformer à l’opinion des autres si cela leur permet d’être acceptés.
Cet effacement de soi a pourtant un coùt : le sentiment de ne pas exister, la perte totale de confiance et d’estime de soi et la dépendance aux autres.
Habiletés relationnelles et estime de soi
On voit donc que pour prévenir les risques prostitutionnels auprès des jeunes, développer les habiletés relationnelles peut jouer un rôle favorable[[Voir dans le numéro 158 l’article «
La prévention de la prostitution chez les jeunes passe par l’éducation aux compétences psychosociales« .]]. Apprendre des comportements de communication permet d’affronter sereinement les relations sociales du quotidien. Il s’agit donc de donner l’occasion à la personne de comprendre ce qui l’empêche de prendre sa place parmi les autres (par exemple la peur du conflit, d’être rejeté-e, de ne pas savoir répondre à une critique, de fondre en larmes et de paraitre faible, etc.) tout en développant ses compétences sociales.
Cette compétence nouvelle à communiquer avec les autres et une meilleure connaissance de soi influencent alors positivement l’estime de soi.
Les compétences psychosociales
Selon l’âge, les besoins, les facteurs de risque auxquels les enfants ou les jeunes avec lesquels on travaille peuvent être confrontés, on peut choisir de donner la priorité à l’une ou l’autre des catégories qui constituent la compétence psychosociale:
– les compétences socio-cognitives sont impliquées dans la prise de décisions, la résolution de problèmes et la réflexion critique,
– les compétences comportementales ou habiletés relationnelles permettent de négocier, coopérer, refuser, exprimer ses droits, ses besoins, ses opinions mais aussi de faire ou de répondre à des critiques ou des compliments,
– les compétences émotionnelles favorisent la gestion du stress, la régulation des émotions comme la colère ou l’empathie[[L’empathie est la capacité à prendre en compte les droits et les sentiments des autres.]].
Il faut également prendre en compte le degré de croyance que le jeune a dans sa capacité à atteindre ses objectifs personnels et agir là où ce sentiment d’efficacité personnelle est le plus faible. Pour renforcer l’estime de soi il faudra par ailleurs aider le jeune à savoir s’attribuer ses succès («
j’ai réussi parce que je me suis préparé-e, et non pas parce que j’ai eu de la chance« ) et à prendre en compte les circonstances extérieures qui peuvent influencer ses réalisations («
je n’ai pas été admis-e à l’examen car nous sommes 350 inscrit-es pour 10 places, et non pas parce que je suis nul-le et incompétent-e« ).
Des compétences liées entre elles
S’il est possible de donner la priorité à l’une ou l’autre de ces compétences, il faut toutefois se souvenir qu’elles sont liées entre elles. On parle souvent de l’apprentissage du refus dans le cadre de la prévention des conduites sexuelles à risques. Mais celui-ci sera difficilement mis en pratique si le jeune n’a pas également appris à regarder l’autre, à décoder les émotions, le langage du corps, à résoudre un problème[[Frédérique Petit,
Compétences sociales et problèmes d’apprentissage chez les enfants, in
Actes du colloque Compétences sociales et risques prostitutionnels, de l’éducation à la prévention, Délégation des Hauts-de-Seine du Mouvement du Nid, Nanterre, octobre 2007. Les actes peuvent être téléchargés sur cette page.]].
L’apprentissage de la résolution de problème est tout aussi important pour la prévention auprès des jeunes car la capacité à faire des choix au mieux de leurs intérêts en découle. Pour cela il faut apprendre à imaginer plusieurs solutions pour un même problème, en évaluant à chaque fois les avantages et les inconvénients. Cela implique également de reconnaître les critères de choix importants pour soi et qui peuvent être différents d’une situation à l’autre (le regard des autres sur nous, l’impact de nos actes sur notre entourage, le fait que la solution choisie soit légale, qu’elle ait le plus d’avantages et le moins d’inconvénients, qu’elle soit sans risque, le respect de soi, etc.).
Dans le cadre de la prévention des risques prostitutionnels, il s’agira d’apprendre aux jeunes à identifier leurs besoins (affiliation, expérimentation, recherche de sensations, d’affection, problèmes matériels, etc.) et à trouver plusieurs solutions possibles pour y répondre. Cela passera également par une réévaluation des bénéfices attendus, des risques et conséquences réels de l’expérience prostitutionnelle.
Cependant, il ne s’agit pas seulement d’éviter les pièges de la prostitution mais tout autant de permettre aux jeunes de construire leur vie sexuelle et affective sans être client-e-s des personnes prostituées.
Acquérir des facteurs de protection
L’intérêt de ces démarches de prévention est donc de permettre aux jeunes d’acquérir des facteurs de protection pour la santé mentale en général et pour la prévention de tous les comportements à risques : estime, connaissance et affirmation de soi, résistance aux pressions externes, résolution de problèmes, gestion des émotions notamment.
Plusieurs études internationales ont montré que les bénéfices de ces démarches sont nombreux pour l’éducation à la santé, la prévention des comportements addictifs, des comportements sexuels à hauts risques, pour prévenir la délinquance, mais aussi pour prévenir le rejet par les pairs et améliorer les performances scolaires. Deux facteurs habituels du risque prostitutionnel.
Documents joints
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