« Grands mineurs » : changement de paradigme !

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L’étude Jeunes prostitué-e-s et réponses sociales[[À télécharger sur cette page.]], réalisée en Belgique par Myriam Dieleman pour le ministère de l’Enfance et de l’aide à la Jeunesse, visait à faire un état des lieux de la prostitution des mineurs et de sa prise en charge et, comme il est d’usage, de proposer des pistes d’intervention pour répondre aux difficultés rencontrées. Un état des lieux chiffré fiable est toujours impossible : pas d’observatoire, statistiques improbables en raison, entre autre, des réticences persistantes de certains professionnels à identifier cette problématique : les travailleurs sociaux, par crainte d’être assimilés à des policiers s’ils posent la question, les juges parce que la prostitution n’est pas le motif d’instruction des dossiers qu’ils traitent ou parce qu’ils la considèrent comme secondaire par rapport aux autres problèmes auxquels sont confrontés les jeunes. On peut d’ailleurs s’interroger sur cette hiérarchisation, entre prostitution et/ou toxicomanie, et/ou vol(s), et/ou violences, où la prostitution serait finalement « secondaire ». Parce qu’elle ne fait de mal qu’à celle ou celui qui la pratique ? De cette relative opacité surgissent les éternelles questions : la prostitution des mineurs est-elle un épiphénomène ? Quelles intérêts servent les discours alarmistes ? L’augmentation du nombre de jeunes prostitués, lorsqu’elle est constatée dans les statistiques officielles, révèle-t-elle vraiment une augmentation du phénomène ou l’augmentation des interpellations ?

Une prise en charge complexe

Quelques constats s’imposent néanmoins : ce sont des filles qui sont majoritairement rencontrées dans la prostitution et celle des garçons est sous-détectée. Entre 2002 et 2004, il s’agissait, dans la moitié des cas, de jeunes filles des pays de l’Est, l’autre moitié étant constituée de Belges et d’Africaines. Ces mineurs ont essentiellement 17 ans, mais l’on peut en trouver de plus jeunes. Sur les itinéraires des jeunes, rien de nouveau : des problèmes familiaux, sociaux, économiques, psychologiques se conjuguent pour expliquer qu’ils en arrivent à être prostitués. Leur prise en charge est difficile : manque de places en hébergement, d’urgence notamment, refus de certaines structures de les accueillir, judiciarisation des dossiers, inadéquation des placements proposés, démultiplication des intervenants et collaboration impossible entre le social et le policier en raison d’intérêts et de pratiques divergentes et jugées irréconciliables. Le problème est d’en arriver, à partir de ce relatif constat d’échec, à avancer des recommandations qui semblent nager ente deux eaux ; comme d’ailleurs la Belgique à l’égard de la prostitution des adultes. D’un côté, un appel à la déjudiciarisation de la prise en charge des mineurs prostitués, les assimilant réellement à des mineurs en danger plutôt qu’à des délinquants. C’est justement ce qui est demandé depuis plus de 10 ans au cours des congrès mondiaux contre l’exploitation sexuelle et commerciale des enfants ! De l’autre, un appel à ouvrir une 3ème voie qui sous le titre fourre tout « d’accompagnement, d’information et de prévention » consisterait en fait à considérer les « grands mineurs » « suffisamment responsables de leurs actes » en leur « laissant le libre arbitre de leurs choix ». Ce qui impliquerait comme préalable de « revoir la représentation de la liberté et de la responsabilité des mineurs ». Autrement dit de revenir sur les acquis de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.

La notion de « choix », prétexte à distinguer enfants victimes et ados responsables?

D’un côté des victimes, les « petits » mineurs, ceux ayant moins de 15 ans, de l’autre de « grands mineurs » capables d’assumer leurs choix ? Le grand mot est lâché. Encore ! Rien par contre sur la manière dont il peut vraiment s’opérer, les capacités cognitives, émotionnelles de ces adolescents placés en situation de précarité économique et affective. Car faire un choix est le résultat d’une opération mentale, une gymnastique qui s’apprend à condition d’avoir bénéficié d’un environnement et de modèles propres à la développer. A quoi servirait cette distinction ? Tout simplement, à faire accepter la prostitution des adolescents à l’instar de celle des adultes. En fait le débat n’est pas nouveau. Mais la Convention internationale des Droits de l’Enfant, qui protège toute personne jusqu’à 18 ans, apporte une réponse. Celle d’une protection maximale. Celle de la responsabilité des Etats. Faut-il revoir à la baisse les standards de protection de l’enfance, y compris pour les adolescents parce que l’on se sait pas faire, tout le temps, avec tout le monde ? Ne faudrait-il pas revoir les critères d’évaluation de la prise en charge de ces mineurs, pour ne plus considérer le retour provisoire à la rue ou à la prostitution comme le signe d’un indépassable échec mais plutôt une étape, normale, de cette prise en charge. Et pourquoi se plaindre que le retour à la prostitution est un échec, si ce que l’on propose c’est justement de les laisser dans la rue ? Faut-il rejouer éternellement les mêmes débats, ou trouver des réponses convaincantes aux vrais problèmes qui se posent ?

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