S’il est un frein qui handicape les luttes féministes depuis ses origines, c’est bien la notion de consentement des victimes, objet de débats sans fin. Régulièrement évoqué, souvent au gré d’une affaire pénale médiatique, il se caractérise en réalité par des failles dans ses définitions comme dans son application juridique. En réalité, le fameux « consentement », lequel n’est utilisé que pour parler des atteintes contre les femmes, ne permet pas d’avoir un champ de vision suffisamment large sur toutes les situations d’atteintes sexuelles et sur ce qui génère les violences sexistes.
Violence du Nouvel An à Cologne : l’aggiornamento allemand
C’est un long et âpre débat politique qui a fait suite aux agressions sexuelles et viols qui se sont déroulés à Cologne la nuit du nouvel an 2016, et qui ont suscité un effroi mondial. De graves difficultés juridiques étaient apparues dans les procédures pour faire aboutir certaines plaintes. Jusqu’à présent, la loi allemande, pourtant rénovée en 1997, limitait la définition de l’agression sexuelle à la seule contrainte établie ou menace pour obtenir l’acte sexuel, ce qui ne prenait donc pas en compte les situations de sidération, de peur, ou le simple refus non respecté mais sans qu’il y ait pour autant usage d’une contrainte. Désormais, l’absence de consentement exprimé, d’une façon ou d’une autre, devient enfin la base de la définition d’une agression sexuelle dans le pays[Petra Hessenberger, « En Allemagne, le jugement de viol ne dépendra plus du comportement des victimes »,Libération, 12 juillet 2016.].
En France aussi, des failles évidentes dans l’application du droit
Pour l’opinion publique, le consentement semble une notion acquise. En réalité, sa définition comme ses fondements, souvent complexes, restent bien peu interrogés.
L’enquête de l’association Mémoire Traumatique sur les « Représentations des français-e-s sur le viol et les violences sexuelles », publiée en mars 2016 démontre ainsi que pour une personne sur cinq, céder signifie consentir (deux termes qui n’ont pas le même sens !) et que pour plus de 40 % des personnes, la parole d’une femme qui ne s’est pas débattue lors d’une agression peut être remise en question[[Muriel Salmona, « Le règne du déni et de la culture du viol »,Mediapart, 6 mars 2016. http://bit.ly/MemTraumaEnqueteRepresentations.]].
Un deuxième élément tient dans le fait qu’il y a encore une majorité de personnes, et parfois la Justice avec elles, pour théoriser et juger du consentement d’une personne à partir de l’appréciation d’une donnée qui ne devrait pas interférer sur le jugement d’une atteinte sexuelle : l’âge des participantEs, la situation de prostitution, voire l’heure et le lieu de l’agression…
Prenons un exemple. En France, la loi considère qu’en dessous de 15 ans, un mineur ne peut donner un consentement éclairé pour accepter une relation avec un majeur, mais qu’il peut quand même exprimer un consentement valable s’il s’agit d’un partenaire de même âge ou plus jeune que lui, et qu’il n’y a pas eu de subordination apparente.
À deux jours près, le même lien de subordination peut ne pas être pris en considération, et donc la même violence ne pas être reconnue. On peut d’ailleurs se demander si le consentement et l’âge de la « majorité sexuelle » ne gagneraient pas à être examinés séparément, ceci afin d’éviter que le consentement de la personne soit tenu comme acquis a priori.
De l’influence du patriarcat sur les jugements
Cette approche par « catégorie de situation » n’est bien évidemment pas neutre vis-à -vis de la hiérarchie des statuts sociaux hérités du pouvoir patriarcal : une accusation de viol envers une personne adulte est encore, pour beaucoup, considérée comme moins grave qu’une accusation de viol envers un mineur par exemple. L’attention portée à l’affaire, notamment par certains policiers, est parfois proportionnelle à la valeur que le monde machiste accorde aux catégories d’individus. Sans compter que le consentement dans une situation de prostitution a encore la réputation d’être plus difficile à prouver ou infirmer que dans d’autres contextes, ce qu’aucune enquête ne permet d’ailleurs d’attester.
En outre, de moins en moins de personnes savent encore distinguer acteur politique et acteur institutionnel, militantisme politique et application du droit. Certains semblent oublier que le consentement n’est pas qu’un objet de débat, dont les termes peuvent toujours être discutés, mais qu’il est aussi un objet de droit avec des règles légales fixes qui, elles, ne se discutent pas. L’État serait bien inspiré de communiquer sur le concept juridique en tant que tel, pour en réaffirmer la légitimité légale, car les attaques machistes récurrentes contre cet objet de droit sont, elles, bien connues : elles tiennent toutes dans le poncif il faut se méfier des lois sur la sexualité trop favorables aux femmes, celles-ci pourraient s’en servir pour attaquer injustement des hommes, monter des complots, pour en tirer avantage… ou prendre le pouvoir sur ceux-ci…
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Un concept insuffisant pour lutter contre toutes les violences sexuelles
S’il est un contexte qui peut démontrer à quel point le consentement, pour peu qu’il soit avéré aux yeux de la loi, n’efface pas la violence d’un acte sexuel ou son inscription dans un rapport de force patriarcal, c’est bien celui de la prostitution. Et ce, pour plusieurs raisons :
– D’abord parce que, s’il peut y avoir résignation d’une personne à sa situation de prostitution, cela ne veut pas dire qu’il y a pour autant une acceptation de chaque acte sexuel avec chaque client rencontré. Or, une fois entrée dans le monde prostitutionnel, que l’on soit dans un réseau de traite ou non, la possibilité de refuser un client est moins facile qu’il n’y parait, notamment sous l’effet de certaines dissociations psychologiques ou bien de l’emprise.
– Qu’il y ait ou non acceptation de l’acte, le rapport de force entre le client et la personne en situation de prostitution fait que cette dernière ne possède pas le pouvoir de maîtriser le déroulement et le contenu de cet acte, ni de faire respecter les limites éventuellement exprimées à l’avance.
– La violence sexuelle générée par l’acte tarifé dépasse l’atteinte sexuelle immédiate pour produire une atteinte psychologique différée dans le temps, dont le résidu traumatique sera renforcé par la répétition et par les violences verbales et sociales également inhérentes à la prostitution.
– L’atteinte sexuelle dans la prostitution repose sur un système construit sur des logiques sociales patriarcales, des inégalités raciales et une approche économique ultra-libérale qui produisent une inévitable exploitation (y compris en dehors des réseaux de traite). Le prétendu « consentement » à l’acte prostitutionnel est influencé par une socialisation et un conditionnement (celui des femmes et des minorités sexuelles), qui tient de la résignation et non de l’acceptation de cette exploitation.
Le consentement n’est donc pas le concept miracle pour éradiquer la violence sexiste et sexuelle, car l’on confond trop souvent, comme le dit Nicole Claude Mathieu, consentir et céder, notamment face aux rapports de force qui nous dépassent et qui ont fait d’ailleurs la nécessité même de penser le concept de consentement. Comme l’analyse très bien l’essayiste Freya Brown[[Freya Brown, « Let’s talk about «Consent» », [traduit en français par Francine Sporenda, juillet 2016.]], le consentement, pour peu qu’il soit véritablement acquis, n’est au fond qu’un couvercle sur les inégalités des rapports de genre et le masculinisme. Ne serait-il pas temps, au lieu de brandir à tout propos le sésame du « consentement », de penser un objet juridique global autour de l’égalité sociale dans les relations affectives et sexuelles ?
Cet article est paru dans le numéro 189 de notre revue,Prostitution et Société. Pour nous soutenir et nous permettre de continuer à paraître, abonnez-vous!