Nigeria : Le problème ce n’est pas la traite mais de rentrer les mains vides

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Au Nigeria, on les appelle les « ltalos ». Elles ont quitté leur pays pour l’Italie, pour la réussite, la fortune. Le récit de leur fabuleux succès est sur toutes les lèvres. Certes, elles sont parties pour se prostituer. Qu’importe, on raconte qu’elles reviennent immensément riches…

Becky s’est exilée vers l’Italie, à l’âge de 24 ans, pour y être prostituée. Six mois de prostitution, le temps de rembourser son passeur, et c’est l’arrestation par la police italienne qui la renvoie au Nigeria. Alors Becky repart, traverse le Sahara pour atteindre le détroit de Gibraltar. Des dix-huit femmes nigérianes qui font la traversée avec elle, seules onze survivront. Direction l’Italie et les trottoirs de Vérone. C’est une nouvelle rafle de police qui la remettra dans l’avion. Curieusement, la reconduction à la frontière se produit souvent peu de temps après que les filles aient eu le temps de rembourser leur passeur. Simple coïncidence, sans doute.

Une société proxénète

L’entourage de Becky, famille, amis, voisins, ne voit rien de répréhensible à son activité. La honte pour eux, et l’humiliation pour Becky, c’est d’avoir failli et d’être rentrée sans avoir fait fortune. L’aurait-on accueillie autrement sinon? Becky semble ahurie lorsqu’on lui pose la question: « Mais tout le monde serait venu m’accueillir, on me saluerait avec respect« , dit-elle.

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Son histoire, celle de bien de ses compatriotes, modifie l’approche conventionnelle que l’on peut avoir sur le commerce du sexe. Car à côté des jeunes femmes vendues, emmenées de force pour y être prostituées à l’étranger, d’autres partent désormais avec comme espoir de faire aussi bien que celles qui les ont précédées. Celles dont on raconte qu’elles se sont fait construire de vraies maisons, forer des puits pour avoir l’eau courante, celles qui paradent en voiture dans les rues non bitumées de Bénin City. À l’instar de Dupay, « l’ltalo », vraie star du commerce sexuel, dont un chanteur populaire a fait un tube, vantant sa richesse et louant sa générosité, elle qui aide tant de femmes à suivre sa voie.

Le mythe de la courtisane

La réalité de leur réussite semble de peu d’importance. Seul compte le mythe qui se construit autour d’elles, et qui crée des émules. Et tant pis pour toutes les Becky qui rentrent sans le sou, abîmées, droguées, malades, parfois mourantes, et qui doivent affronter la réprobation. À Bénin City, autrefois le siège de l’un des plus anciens royaumes d’Afrique de l’Ouest, il est devenu totalement acceptable de partir pour se prostituer.

Sœur Florence, qui préside le Comité pour la dignité des femmes, a bien rencontré quelques cas de femmes qui avaient « réussi » mais, cela pèse si peu face à l’immense majorité de celles qui sont détruites avant d’avoir pu économiser la moindre somme. Et pourtant, partout, dans la rue, dans les magasins, au restaurant, on peut assister à des tractations menées par un cousin, une tante, dans le but d’aider une fille à « partir en voyage« . Le contrat est alors scellé par un rite vaudou, le juju, qui doit préserver le secret de la transaction.
Mme Abiodun, de l’Agence nationale pour la prohibition du trafic d’êtres humains, remarque que cela rend quasiment impossible l’obtention d’un témoignage au tribunal.

Quelques associations locales tentent bien des campagnes d’information, et l’on peut voir dans les rues de Bénin City des affiches mettant en garde les jeunes femmes contre les tentations d’aller faire fortune dans la prostitution à l’étranger. Mais dès lors que le fait même de partir se prostituer ne pose plus de problème, on voit bien les limites de ce type d’action.

Comment, sur quels arguments, penser une prévention efficace dans un tel contexte, avec de surcroît un fossé qui ne cesse de se creuser entre pays riches et pays pauvres?

Pourtant, pour toutes ces jeunes femmes rejetées par leurs familles pour n’avoir pas été à la hauteur des espoirs placés en elles, avec pour toute perspective le retour à une vie de misère, hantées par le souvenir de ce qu’elles ont vécu, mais dont elles ne peuvent pas parler, car leur témoignage n’est pas bienvenu, l’échec, l’humiliation pèsent comme un lourd fardeau.

Becky, elle, a relativement de la chance. Sa mère l’attendait à Lagos, à la descente de l’avion qui la ramenait une fois encore d’Italie. Mais son visage exprimait très visiblement la déception, et elle n’eut qu’une phrase pour accueillir sa fille : « Alors, on en est toujours au même point ?«