L’égalité juridique ne suffit pas à mettre fin aux comportements sexistes. Nous devons
passer par le procès de tout ce qui, souvent de manière invisible, nous amène à dévaloriser
le féminin et à enfermer femmes et hommes dans des rôles limités. Le Haut Conseil à
l’Égalité entre les Femmes et les Hommes (HCE|fh) y contribue en publiant en octobre 2014 un rapport montrant en quoi les stéréotypes participent au maintien des inégalités.
Ce rapport relatif à la lutte contre les stéréotypes
est riche d’analyses sur la construction des inégalités sexistes grâce aux contributions de divers chercheurs (sociologie, psychologie, histoire). Le présupposé est que les stéréotypes ne sont pas générateurs en eux-mêmes d’inégalités, mais qu’ils sont les témoins de processus discriminatoires, brièvement rappelés : tout commence par une idéologie qui amène à présenter comme innés des rôles, attitudes, traits de caractère… nécessairement opposés et indépassables entre les hommes et les femmes. Cette idéologie comprend l’idée que les hommes ont
des capacités supérieures aux femmes, notamment pour les tâches techniques ou scientifiques. Ces rôles stéréotypés se sont peu à peu incorporés dans la manière de définir ce qu’est un homme ou une femme. En définitive, cela a aussi produit l’intégration de valeurs et attitudes stéréotypés dans la sphère professionnelle, par exemple des qualités dites masculines dans les postes de management où il faut être rigide, sans émotion ni empathie, dans la compétition… Cela est également le cas dans le monde politique.
L’approche du HCE|fh, globale, relie entre elles les inégalités relevant de stéréotypes communs et souligne le continuum d’inégalités que crée le présupposé selon lequel seuls les hommes sont faits pour diriger. Dans les manuels scolaires, les femmes sont sous représentées, à la fois quantitativement et qualitativement ; dans la publicité, seuls les garçons s’entraînent à être des super-héros ; et dans le monde professionnel, c’est l’homme qui, par défaut, dirige.
Le phénomène d’hypersexualisation – présent dans tous les médias : publicité, magazines, séries télévisées… – est mis en avant dans les constats du HCE|fh : les femmes, réduites à leur corps et figées dans des postures de séduction disposent d’un seul capital : celui de la beauté. Pour ce qui concerne les stéréotypes liés à la sexualité, les choses sont aussi claires : les désirs féminins n’existent que lorsqu’ils reprennent à leur compte ceux des hommes.
De manière générale, les représentations des femmes dans la vie sociale sont teintées de leur subordination constante aux hommes. Ainsi, dans les livres d’histoire, elles apparaissent par et pour le regard masculin : Les femmes sont des épouses, des amantes, des muses associées aux hommes (…) elles en sont les objets, mais rarement les sujets elles-mêmes
, conclut le rapport.
Créer des « éga-opportunités » pour tou·tes
Le HCE|fh dresse une série de 34 propositions, certaines très concrètes, pour repérer les stéréotypes, mesurer les inégalités, former les acteurs, notamment dans l’éducation et la
communication institutionnelle. Toutes convergent vers une recommandation phare, l’éga-conditionnalité
. Il s’agit ni plus ni moins de conditionner des financements publics au
respect de l’égalité et à l’éradication des stéréotypes. En ligne de mire, les manuels scolaires ou encore la communication des structures publiques, dont le financement assuré à 100 % par l’État avoisine le milliard d’euros chaque année.
Les préconisations du rapport sont pour la plupart louables, et des procédures de travail sont avancées dans chaque domaine avec des étapes clés pertinentes. Mais on reste trop souvent dans la mesure technique. Il manque une véritable stratégie de mobilisation, politique et citoyenne, capable de dépeindre les enjeux concrets de l’égalité et d’impliquer davantage les hommes : les stéréotypes masculins les desservent eux aussi et les enferment comme les femmes dans des rôles limités. Avant tout, l’égalité vise à l’ouverture de possibles pour chacun et chacune en termes de formation, d’emploi, de loisirs, de manière de vivre et de se construire une identité personnelle. Il faudrait y rajouter un volet « d’éga-opportunités » pour touTEs…
En effet, alors que persiste – voire prospère – un discours conservateur prétendant que les stéréotypes seraient nécessaires à la construction de soi en tant qu’homme ou femme, il faut dissiper toute ambiguïté et affirmer clairement : ce n’est pas à l’idéologie machiste de nous dire si nous sommes de « vraies » femmes, de « vrais » hommes. La nature nous fait homme ou femme, et ce n’est pas le fait de diriger désormais des entreprises pour les unes ou de faire la vaisselle pour les uns, qui changera ce fait. À chacun, chacune de choisir et construire son identité, c’est-à-dire ses valeurs, ses principes, ses loisirs, sa formation, ses métiers, son compagnon ou sa compagne… autant de choix qui ne s’avèrent pas aussi libres et simples selon son sexe biologique, malgré ce faux sentiment que nous vivons déjà dans une société d’égalité.
Stéréotype de sexe ou stéréotype de genre ?
Dans les débats sur la mise en place des politiques publiques
en faveur de l’égalité femmes-hommes, notamment à l’école, un terme a cristallisé les
polémiques : le genre. Le rapport du HCE|fh a choisi le terme « stéréotype de sexe », à l’encontre de la commande du ministère, qui évoquait les « stéréotypes de genre ». La distinction ? La notion de sexe renvoie aux caractéristiques biologiques et physiques distinctes entre les femmes et les hommes. Le genre désigne les attitudes, les logiques et les valeurs, les savoir-faire et les compétences apprises culturellement en mettant en relief ce que l’on apprend et exige spécifiquement des filles et des garçons. Au sens sociologique les notions sont complémentaires et le genre n’a pas vocation à remplacer la catégorie de sexe.
Certains stéréotypes de sexe et de genre se recoupent,
quand un stéréotype concerne l’ensemble de catégorie de sexe : par exemple celui qui affirme que les femmes passent trop de temps dans la salle de bain. D’autres stéréotypes visent une partie de la catégorie de sexe, ou des sous-groupes de personnes présentes dans les deux catégories de sexe : par exemple les stéréotypes dénigrant les homosexuel–les – hommes et femmes – en les présentant comme amoraux ou asociaux, parce qu’ils trangressent le registre d’attitudes traditionnellement assigné à leur sexe. Ici, le terme « stéréotype de genre » souligne, au-delà de la catégorie de sexe, le lien avec la hiérarchie entre le masculin et féminin.