Tous en marche
. C’est le nom du projet-pilote lancé le 17 décembre 2015 par Médecins du Monde et Les amis du Bus des Femmes contre les violences faites aux travailleurs/euses du sexe
. Conduit pour 3 ans en Ile-de-France, il devrait déboucher sur de bonnes pratiques
. Si nous partageons le constat et l’idée d’urgence, nous nous étonnons de la frilosité des mesures proposées!
Comment ne pas être d’accord avec le diagnostic posé par Médecins du Monde et Les amis du Bus des Femmes ? Insultes, coups, viols, vols, meurtres
sont à juste titre dénoncés par les deux associations tout comme les discriminations et violences institutionnelles
; des violences renforcées par le fait qu’elles osent rarement porter plainte
. Le Mouvement du Nid dénonce les mêmes faits à longueur d’année.
Mais que propose réellement le projet Tous en marche ? Il vise à renforcer les capacités des travailleuses et travailleurs du sexe par la formation et la mise en place d’un système d’alerte pour prévenir les violences
. Via Internet, ce système doit permettre de diffuser le signalement d’agresseurs, les numéros d’immatriculation de voitures ou des numéros de portables afin d’alerter les autres personnes prostituées et éventuellement la police.
Le projet a ensuite pour objectif de favoriser l’accès aux soins des victimes par la sensibilisation des professionnels de santé
et de garantir leur accès aux droits en facilitant le dépôt de plainte et en les soutenant tout au long des procédures judiciaires
. Former les acteurs sociaux, y compris les personnels de police et de justice, favoriser l’accès aux droits, qui s’opposerait à ces mesures de bon sens ? Nous appuyons de notre côté, quotidiennement, tout ce qui permet aux personnes de dénoncer les violences subies, de porter plainte et d’obtenir réparation.
Ces exigences posées, à aucun moment les porteurs du projet n’osent aborder les questions de fond. Est-il vraiment possible de se contenter d’exiger la garantie d’un bon accès aux soins pour réparer des personnes agressées ? N’est-il pas temps, plutôt, de remettre en cause la légitimité d’un « métier » qui place des femmes (en immense majorité) en présence d’agresseurs ? Qui les expose aux insultes et au viol ? Qui les contraint à pratiquer l’auto-défense ?
Et pourquoi un tel mutisme sur les causes essentielles de ces violences ? Car, si le projet dénonce avec empressement les conséquences des politiques publiques qui relèguent les prostituées à des zones d’insécurité, de non-droits et les stigmatisent
, il ne dit pas un mot des principaux responsables des agressions commises, à savoir les « clients » prostitueurs, ici euphémisés sous le terme neutre d’agresseurs en série
!
En ce qui nous concerne, nous refusons de nous arrêter au milieu du gué.
Eviter des violences immédiates, c’est bien… Orienter les politiques vers des alternatives à la prostitution et des actions de prévention, c’est encore mieux. Désigner les responsables des violences, non seulement les proxénètes mais aussi les « clients » prostitueurs, c’est enfin rompre avec le sentiment d’impunité séculaire qui autorise ces derniers à se lâcher et à commettre ces violences.
Il se trouve que c’est précisément l’objet de la proposition de loi de lutte contre la prostitution actuellement en discussion. On peut donc s’étonner de la contradiction qui pousse Médecins du Monde et les Amis du Bus des Femmes à tout faire pour la disqualifier. Pourtant, en supprimant le délit de racolage et en faisant cesser l’impunité du client prostitueur, la nouvelle politique publique favorisera le dépôt de plainte des personnes prostituées, enfin libérées de toute répression policière. En assurant la formation des professionnelLEs, elle engagera ces derniers à prendre au sérieux ces plaintes et à protéger les victimes. En renforçant les politiques de prévention, elle contribuera à tarir le flux des nouvelles victimes, dont on sait qu’elles sont de plus en plus jeunes.
Voyant enfin plus large et plus loin, elle préparera ainsi la société de demain : une société où une activité indissociable des injures et des viols aura cessé d’apparaître, pour les femmes essentiellement, comme une solution
envisageable.
Cet article est paru dans le numéro 187 de notre revue,Prostitution et Société. Pour nous soutenir et nous permettre de continuer à paraître, abonnez-vous!