Gérard Biard, rédac’ chef de Charlie-Hebdo et porte-parole de « Zéromacho »

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C’est une imposture de dire que la prostitution relève de la liberté sexuelle. Si elle venait à disparaître, aucune pratique sexuelle, aussi fantaisiste soit-elle, ne serait empêchée. La sexualité n’y perdrait rien.

Co-fondateur du réseau Zéromacho, dont il est l’un des porte parole avec Patric Jean et Frédéric Robert, Gérard Biard est un abolitionniste de la première heure. Rédacteur en chef adjoint de Charlie Hebdo, chroniqueur, il a le dos large : non content de défendre la liberté d’expression face aux intégrismes (on se souvient de la bombe dans les locaux du journal), il décide de monter au feu pour obtenir l’abolition.

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Zéromacho, le réseau qui monte, qui monte !

Fondé en décembre 2011, Zéromacho rassemble des hommes de tous pays, de tous âges, origines et conditions. Tous l’affirment : Comme 90 % des hommes, nous n’allons pas « aux putes », et nous disons pourquoi.

L’idée de lancer un manifeste, puis un réseau, revient à la fervente féministe et abolitionniste qu’est Florence Montreynaud.
Sur Zeromacho, signez le manifeste « Nous n’irons pas au bois » et découvrez les textes enlevés de Gérard Biard : « Ni pute ni traditions », « Trottoir famille patrie » (2011), « Sous les pavés le tapin » (2012).

Rencontre avec Gérard Biard

Pourquoi cet engagement à Zéromacho ?

C’était une évidence. La prostitution ne s’adresse pratiquement qu’à des hommes (la part des femmes étant plus que marginale). En tant que premiers destinataires de la prostitution, nous avions notre mot à dire, et d’abord au niveau politique. Pour moi, il s’agit d’un engagement en tant qu’homme mais aussi, et surtout, en tant que citoyen. La question de la prostitution est une question politique et sociale. Tout tient ensemble : la lutte contre l’intégrisme à Charlie, et contre le système prostitueur à Zéromacho. Comment peut-on être féministe, laïc et ne pas être abolitionniste ?

Et ça marche ? Vous recrutez ?

La mayonnaise a pris tout de suite. Le réseau a un an à peine et il grossit tous les jours ! Nous en sommes à 1300 signataires de 46 pays… Ce réseau a une spécificité. Il brasse toutes sortes d’hommes, de milieux très différents, et permet d’engager le débat. Le fait qu’il suscite une certaine curiosité est un atout, nous sommes très sollicités par les médias.

Ce frémissement est donc le signe que les choses avancent ?

Oui, nous sommes à un moment charnière. Depuis le jour où Roselyne Bachelot, encore ministre, s’est prononcée pour la pénalisation des « clients », où Danièle Bousquet a présenté le rapport de la Mission Parlementaire, où Najat Belkacem s’est prononcée pour l’abolition, les tribunes se sont multipliées dans la presse ; certaines, ahurissantes, comme celle de Philippe Caubère[[Libération du 14/04/2011, «Moi, Philippe Caubère, féministe, marié et client de prostituées».]]. L’affaire Strauss Kahn a aussi été déterminante. Le fait que le soufflé ne soit jamais retombé et que les positions se radicalisent me semblent être un bon signe. La société est prête à se poser les bonnes questions.

Vous êtes homme de médias et abolitionniste, autant dire une rareté… Quelles réactions vous vaut cet engagement ?

A Charlie Hebdo, ma position ne surprend plus, elle est connue depuis longtemps. Charlie n’a pas de ligne éditoriale en la matière. Les positions y sont opposées, comme partout dans la société. J’y écris librement sur le sujet, pas en tant que militant mais en tant que chroniqueur et citoyen. J’essaie d’être pédagogique, ironique aussi, et de mettre la gauche face à ses contradictions. Dans le privé, j’ai des amis, plutôt de gauche, qui manifestent une certaine surprise devant mes choix. Systématiquement, ils ramènent le débat à la question sexuelle. Je leur explique que non seulement le système prostitueur n’est pas une affaire d’individus, mais qu’il n’est pas non plus une affaire de sexualité. C’est une imposture de dire que la prostitution relève de la liberté sexuelle. Si elle venait à disparaître, aucune pratique sexuelle, aussi fantaisiste soit-elle, ne serait empêchée. La sexualité n’y perdrait rien.

Et on peut difficilement vous traiter de puritain…

Vingt ans à Charlie Hebdo, je suis à l’abri de l’accusation… Ca ne tient pas debout, cette accusation de puritanisme. Il y a des tas de puritains qui sont pour les maisons closes ! Quand l’Assemblée Nationale a voté la résolution sur la position abolitionniste de la France, ceux qui ont ricané étaient plutôt des gens de l’UMP, la droite popu tendance FN. Ils ont beau être sécuritaires, répressifs contre les homosexuels, les étrangers et les drogués, la prostitution il ne faut pas y toucher !

La résistance farouche qui s’exprime de toutes parts ne vous inquiète pas ?

Elle fait partie du débat démocratique. Ce qu’il faut, c’est répondre point par point aux arguments, les démonter boulon par boulon, relever les contradictions. Chacun a ses méthodes, personnellement j’aime bien la dérision[[À la question de savoir si le plaisir sexuel n’est pas un « droit de l’homme », Gérard Biard répond : Si, c’est pour ça qu’il a inventé la masturbation. Vive l’autogestion !.]] Il faut expliquer que la question de la prostitution n’a rien à voir avec une décision individuelle ; c’est un système ; et un système de nature économique. Le terme « système prostitueur » est peut-être rébarbatif mais c’est celui qu’il faut imposer.  « Prostitution » recouvre trop de jugements moraux qui n’ont rien à faire dans le débat.

A quoi attribuez-vous les résistances particulières qui touchent une partie des milieux intellectuels de gauche ?

A mon avis, les « grandes consciences de gauche » qui défendent le système, dont beaucoup sont issues de 68, sont dans une position de non dit. Défendre le système prostitueur si l’on est de droite, on peut le comprendre, puisqu’il s’agit d’un système économique ultra libéral. Mais se dire de gauche et justifier une pareille misère, affirmer que tout est possible contre de l’argent, est incohérent. Quand Elisabeth Badinter affirme que le corps des femmes leur appartient, elle oublie – naïvement ou volontairement – que celui des prostituées ne leur appartient pas. Pourquoi alors ne vendraient-elles pas aussi leurs organes ? Il est curieux que, lorsqu’on parle de prostitution ou de sexualité, on sorte du champ social et éthique. C’est du côté de ces gens dits de gauche qu’est le tabou !

Et les médias ? Le « Strass » y a une visibilité souvent refusée aux abolitionnistes…

Pour ce qui est du Strass, je ne me donne pas le droit de contester leur parole. Mais je me pose quand même la question : pour qui ces gens roulent-ils ? Pour quels intérêts ? J’aimerais bien que la Bulgare qui fait des fellations porte de la Chapelle entre deux camions puisse aussi s’exprimer. Le Strass est un lobby qui s’est autobaptisé syndicat. Il se trouve que ce sont de bons clients pour les médias ; leur position est tranchée, le spectacle assuré. Comme beaucoup de journalistes sont des feignants, ils appellent ceux qui vont répondre tout de suite. Du coup, on voit toujours les mêmes. Mais c’est vrai pour tous les sujets.

Croyez-vous qu’une loi d’abolition puisse être votée ?

S’il y a une volonté politique, la réponse est oui. Bien entendu, il faut l’accompagner d’un travail pédagogique. Dans la société française, la majorité des gens ne sont ni pour ni contre. Ils se posent des questions mais ils n’ont pas d’avis ; juste des fantasmes, des histoires personnelles, et les clichés que véhiculent les fictions, la littérature… L’aspect punitif est marginal dans cette affaire. Le premier rôle de la loi est la pédagogie ; c’est d’affirmer ce qui est tolérable ou non dans une société. D’ailleurs, personnellement, au mot « pénalisation », je préfèrerais celui de « responsabilité pénale ». En fait, la question de fond est la suivante. Dans quelle société voulons-nous vivre ? Dans celle qui imposera le moins de violences et de contraintes. Or, le système prostitueur n’est fait que de violences et de contraintes. C’est l’ultra libéralisme et la sauvagerie économique dans toute sa splendeur ; les patrons du Cac 40 ne feront jamais mieux. Alors, soit on l’abolit, ce qui est une mesure progressiste, soit on décide de l’enseigner dans les écoles de commerce…

Question subsidiaire… Quel est le « plus vieux métier du monde » ?

Tueur à gages.