Laura Slimani, chargée de mission prostitution au sein de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS)

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La loi du 13 avril 2016 crée entre l’Etat et les personnes accompagnées un lien de confiance.

Laura Slimani est chargée de mission prostitution au sein de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), dont sont membres plusieurs associations agréées pour les parcours de sortie, comme l’Amicale du Nid, l’ALC ou encore  Aux Captifs la libération ».

Quels constats 2 ans après le vote ?

Nous percevons le potentiel de cette loi en termes d’accompagnement social. Les dispositions du volet social peuvent permettre aux personnes qui souhaitent sortir de la prostitution d’avoir accès à  des alternatives et de franchir les barrières qui font qu’elles sont aujourd’hui coincées dans ce système, en particulier sur la question du titre de séjour et des revenus. C’est un dispositif intéressant, même s’il reste précaire, que nous avons choisi d’accompagner, et pour lequel nos associations sont agréées dans plus de 25 départements.

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Mais nous sommes assez inquiets de la lenteur de la mise en œuvre de la loi. Et de l’absence de volonté politique pour faire appliquer véritablement ce volet social.
Aujourd’hui, il y a de grandes disparités en fonction des territoires. L’application dépend très fortement de la bonne volonté des préfets et du poids des délégations aux droits des femmes localement. Un certain nombre de préfets ne font pas de zèle et confondent ces dispositifs avec plus globalement la gestion des flux migratoires, alors que c’est un sujet différent. Ils intègrent la question des alternatives proposées aux personnes qui souhaitent sortir de la prostitution à  une politique migratoire plus globale qui est très fermée aux régularisations.

Par ailleurs, nous déplorons l’insuffisance des moyens consacrés à  la mise en œuvre de cette loi et du parcours d’accompagnement social. Toutes les associations qui travaillent à  ce sujet, notamment agréées, ont intégré de nouvelles actions à  leur travail au quotidien : constitution des dossiers, présentation, suivi, sans aucun moyen supplémentaire. On observe même une baisse des financements aux associations en 2017 et 2018, malgré notre mobilisation collective depuis l’été dernier. Nous ne comprenons pas ces décisions qui nous semblent contradictoires avec l’objectif affiché de mettre en œuvre le volet social de la loi. En outre les associations sont en difficulté en ce moment suite à  plusieurs décisions, notamment sur les contrats aidés, des baisses de dotations des départements, ou encore la fin de laréserve parlementaire.

Comment la mise en œuvre de la loi se passe-t-elle là  où elle est effective ?

On en est encore au tout début. Dans les départements, encore rares, où les commissions ont donné lieu à  des accords, ça se passe plutôt bien.La loi permet de donner de la visibilité à  un sujet qui n’en avait pas et de sensibiliser les acteurs qui y participent : collectivités territoriales, services de l’Etat, associations. C’est pourquoi il faut absolument accélérer et homogénéiser au maximum sa mise en œuvre pour qu’elle soit la plus bienveillante possible à  l’égard des personnes. Les associations ne peuvent pas mettre leur crédibilité en jeu vis à  vis des personnes accompagnées. Lorsqu’une association a vu quasiment tous ses dossiers refusés, se voyant notamment opposer que certaines personnes étaient sous OQTF*, c’est très violent. Les personnes accompagnées en vue d’entrer dans le parcours sont déjà  dans une démarche de long terme d’arrêt de la prostitution, de sortie du réseau, d’apprentissage du Français, d’amorçage de formations, de recherche d’emploi, de changement de vie. Avoir une fin de non recevoir derrière, pour un motif qui n’est même pas valable au regard de la loi, c’est quasiment de la non-assistance à  personne en danger. Cela peut complètement briser le rapport de confiance noué avec l’association, et cela renforce le sentiment que l’Etat ne s’intéresse pas aux personnes en situation de prostitution.

Un des grands apports de la loi, c’est de créer entre l’Etat et ces personnes en grande précarité et en situation de vulnérabilité un lien de confiance : qu’elles puissent considérer les services de l’Etat comme des entités qui peuvent les aider, pas les enfoncer. Aujourd’hui c’est difficile à  percevoir, en tout cas pas dans tous les territoires.

Ce n’est pas la loi qui est responsable de ça ?

Aujourd’hui nous ne remettons pas la loi en cause, mais l’absence de volonté politique dans la mise en œuvre de son volet social, et le peu de directives données aux préfets pour que la loi soit mise en place de manière effective.. Cela nécessiterait un travail interministériel plus important. Davantage de concertation aussi entre les associations qui portent le parcours et les pouvoirs publics, notamment le ministère des droits des femmes mais pas uniquement. Il faudrait un meilleur suivi global de la loi à  l’échelle nationale.

RETROUVEZ NOTRE ÉVALUATION DU VOLET SOCIAL DE LA LOI

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*obligation de quitter le territoire français.