Laure Ignace : Légaliser le “travail du sexe” aurait des implications sur toutes les femmes qui travaillent

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Laure Ignace est juriste. Elle a longtemps été chargée de mission à l’Agence contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT).   Selon elle, il faut arriver à faire prendre davantage en compte dans le droit la contrainte économique. 

«Légaliser le “travail du sexe” aurait des implications sur toutes les femmes qui travaillent. Dès lors qu’il deviendrait légal de faire entrer des agissements sexuels dans le cadre d’un contrat de travail, la protection des victimes de harcèlement sexuel et de viols sur le lieu de travail serait caduque.

Quand les partisans du “travail du sexe” prétendent que seules seraient concernées les femmes qui y consentiraient, on sait ce qu’il en est du consentement. La plupart n’auraient pas le choix. Et comment, dans une entreprise, un tel travail pourrait-il être légal pour les unes et illégal pour les autres ? Comment ces dernières pourraient elles défendre leurs droits ? La reconnaissance du “travail du sexe” créerait un environnement favorable au harcèlement sexuel généralisé.

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Le viol par contrainte économique 

Il faut plutôt avancer dans la reconnaissance de la notion de contrainte économique. Selon le Code pénal, un viol est un acte commis par “violence, menace, contrainte ou surprise”. Or, les violences sexuelles commises dans le cadre du travail relèvent bien d’une contrainte de nature économique.

Mais les tribunaux estiment que les hommes mis en cause n’ont pas conscience d’exercer cette contrainte. Comme il n’y aurait pas d’intentionnalité, il y a peu de poursuites et de condamnations. Une ordonnance de non lieu reçue par l’AVFT en 2018 est à cet égard très intéressante :

« Si la notion de viol ‘sous contrainte économique’ était effectivement retenue par le droit pénal français, cela reviendrait, notamment, à poursuivre et punir l’ensemble des personnes ayant recours aux services des prostituées, dans la mesure où le consentement de celles-ci aux actes sexuels pratiqués n’aurait, nécessairement, pas été obtenu de manière totalement libre et éclairée, mais parce que ces dernières y sont, le plus souvent, contraintes économiquement. A cet égard, il y a lieu de remarquer que Mme X a indiqué dans l’une de ses auditions que M. Y considérait peut-être ses salariées comme ‘ses putes’ ».

Si les juges reconnaissaient cette contrainte économique comme élément constitutif de l’agression ou du viol, cela reviendrait à assimiler la prostitution à des viols au travail. »

Retrouvez toutes nos interviews dans le cadre de notre dossier spécial « Ni un travail ni du sexe ».