Au lieu d’avoir le courage de mettre clairement en cause les prostitueurs en tant que responsables directs de la traite des femmes, certains pays, certaines organisations de lutte contre la traite n’ont rien trouvé de mieux que de prétendre en faire des alliés.
En 2008, Aide suisse contre le sida, parmi d’autres, engageait les prostitueurs à être propres, polis, à ne pas arriver ivres morts et à signaler les personnes prostituées qui auraient eu l’air d’être des victimes de la traite. C’est tout ignorer des prostitueurs qui achètent précisément le droit à l’égoïsme et à l’indifférence. La chercheuse Julia O’Connell Davidson parle d’hommes dont le désir sexuel est alimenté par le fait de ne pas avoir à se soucier de la personne prostituée comme d’un être humain : Ce qui motive le client, c’est l’absence de pouvoir de la femme, conclut-elle. Dans le rapport Traite des êtres humains, recrutement par Internet[[A. P. Sykiotou, Traite des êtres humains: recrutement par Internet. L’usage abusif d’Internet pour le recrutement des victimes de la traite des êtres humains, COE, 2007. À télécharger sur cette page.]], le Conseil de l’Europe note quedans les comptes rendus que les hommes font de leurs achats, on décèle de nombreux indices qui laissent penser qu’ils utilisent des femmes victimes de la traite.
Il précise qu’une
étude menée en 2006 et 2007 par l’université de Thrace, dans le cadre du projet AGIS 66, dans trois pays européens (Grèce, Chypre, Allemagne) sur la traite axée sur la demande, Demand of Stolen Lives. Researching the Demand Side of Trafficking, révèle que la plupart des clients ferment les yeux sur le caractère criminel de la traite des êtres humains et qu’un pourcentage élevé se montre totalement indifférent au sort des femmes. Une seule chose les intéresse : obtenir les services qu’ils ont achetés.Selon une étude israélienne[[H. Ben Israel et N. Levenskron, The Missing Factor. Clients of Trafficked Women in Israel’s Sex Industry, Israël, 2005.]], près de la moitié des « clients » interviewés estiment que des femmes étrangères en donnent plus pour la même somme.
Un tiers pensent avoir plus de pouvoir sur elles. Un tiers n’hésitent pas à voir dans la traite un bénéfice pour eux, expliquant que ces femmes s’occupent mieux de leurs « clients », qu’il y a plus de plaisir et qu’elles sont moins chères.
Certains ont dit ne pas s’intéresser aux conditions vécues par la femme prostituée. Elle est là pour un « service », c’est tout. L’actuel mouvement de sensibilisation en direction des victimes de la traite aboutit surtout à légitimer, par opposition, la prostitution exercée par celles qui n’en seraient pas victimes. Prétendre informer les prostitueurs pour qu’ils ne recourent pas à ces personnes est non seulement absurde (l’indifférence morale caractérisant la démarche de beaucoup de ces hommes) mais ne fait que les conforter dans leur « droit » à exploiter des personnes prostituées. Ne pas s’adresser à une « victime de la traite » suffirait-il à se dédouaner de toute responsabilité dans l’exploitation d’autrui ? Les itinéraires des personnes prostituées que nous rencontrons au quotidien montrent qu’il n’est pas nécessaire d’être une victime répertoriée de la traite des êtres humains pour avoir connu violences et maltraitances répétées. Un compagnon ordinaire fait parfaitement l’affaire, sans aller chercher un réseau venu d’Albanie ou du Nigeria. Mais qui s’en soucie ? A. P. Sykiotou, Traite des êtres humains : recrutement par Internet, COE, 2007.