Lorraine Questiaux, avocate au barreau de Paris

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La prostitution est désormais considérée comme contraire à  des valeurs ayant une portée juridique contraignante : santé, dignité, égalité hommes-femmes.

À l’heure où l’Hexagone s’apprête à  voter une loi abolitioniste, Lorraine Questiaux démontre[[« La prostitution dans l’Union européenne. Chronique d’une abolition annoncée »,La revue de l’Union européenne, n°594, janvier 2016.]] que les pays réglementaristes ne sont plus en conformité avec les exigences requises par une Résolution du Parlement européen votée en février 2014.

Annonce

Le 26 février 2014, le Parlement Européen a voté une nouvelle résolution dite Honeyball sur l’exploitation sexuelle et la prostitution. En quoi ce texte constitue-t-il une avancée majeure pour le mouvement abolitionniste ?

En premier lieu, cette résolution Honeyball, du nom de la députée européenne rapporteure du texte, considère la prostitution au sens large et pas uniquement la prostitution dite forcée (ou traite à  des fins sexuelles) qui constituait jusqu’alors la seule préoccupation internationale.

Rappelons que cette dichotomie entre traite et prostitution revient aux Pays-Bas qui, dans les années 1980, ont normalisé le travail du sexe.

Dans cette nouvelle Résolution, le Parlement européen a donc repris la conception de la prostitution qui prévalait lors de la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui de 1949. Convention qui fut signée par la France et par 17 des 28 pays membres de l’Union Européenne.

Second point important, la Résolution considère la prostitution comme très préjudiciable pour la santé physique, psychique et sexuelle des personnes qui en sont victimes, d’ailleurs confrontées à  un taux de mortalité supérieur à  la moyenne.

Enfin, cette directive soutient que la prostitution est contraire aux droits fondamentaux que sont la dignité humaine et le principe de l’égalité entre femmes et hommes.

En votant cette Résolution, le Parlement européen a donc pris une franche position en faveur de l’abolitionnisme.

Cette Résolution Honeyball est consultative. Peut-elle néanmoins avoir une portée juridique ?

Si cette directive n’a pas de pouvoir contraignant, cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’a aucun effet juridique.

En effet, le Parlement européen considère la prostitution comme une violence qui bafoue la dignité humaine et, par conséquent, contraire à  la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (UE). Or, ce texte fondamental, entré en vigueur lors du traité de Lisbonne en 2009, a valeur constitutionnelle pour les Etats membres. La prostitution est donc désormais considérée comme contraire à  des valeurs ayant une portée juridique contraignante : santé, dignité, égalité hommes-femmes.

Jusqu’alors, les juges européens ou les Etats membres qualifiaient la prostitution comme une simple activité économique. On peut s’attendre désormais à  ce qu’ils l’interprètent à  l’aune des droits fondamentaux garantis par l’Union européenne.
En 2010, l’Union Européenne a exclu du marché économique les produits stupéfiants (arrêt Josemans) parce qu’ils étaient néfastes pour la santé humaine.

Espérons, dans la même veine, que la Cour de justice de l’Union européenne s’oppose désormais à  ce que la prostitution soit considérée comme une activité économique ou travail et à  ce qu’elle bénéficie, à  ce titre, de la libre circulation des personnes garantie par les traités.

Si cette Résolution Honeyball a valeur juridique, quelles conséquences pour les Etats membres de l’Union qui sont réglementaristes et organisent le travail du sexe tels que les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Autriche ?

LQ : A partir du moment où la prostitution sort du champ économique, les pays réglementaristes qui organisent une activité contraire à  la dignité et à  l’égalité femmes-hommes ne sont pas en conformité avec les exigences requises par cette Résolution.
La Commission européenne pourrait donc mettre en œuvre une procédure à  l’encontre des Etats réglementaristes qui contreviennent à  la Charte des droits fondamentaux et les contraindre à  modifier radicalement leur régime juridique.
On peut espérer que le « plus vieux métier du monde », comme certains aiment à  caractériser la prostitution, disparaisse des codes du travail des Etats membres pour être requalifié « comme l’une des plus vieilles formes de violence ou d’esclavage ».

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.