#metoo : les personnes prostituées sont aussi des victimes de violences sexuelles !

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Quel est le point commun entre Catherine Deneuve, Catherine Millet, Catherine Robbe-Grillet, Brigitte Lahaie, Peggy Sastre, ou encore Elisabeth Levy, toutes signataires de la « tribune des 100 » qui a soulevé tant de débats début janvier? Toutes avaient signé, voire initié, au moment du débat sur la pénalisation des clients (dans le cadre de la proposition de loi visant au renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel), des pétitions pour défendre les hommes clients. Pour nous qui analysons la situation sur le terrain et dans le débat d’idées, cela n’est pas un hasard… Et est riche d’enseignements.

A quel moment la main au cul devient-elle normale  ?

Quelques mois après l’affaire Weinstein, il est temps de le dire : parmi toutes les femmes, celles qui sont le plus systématiquement victimes de ce harcèlement, de ces agressions sexuelles et de ces viols qui sont dénoncés, ce sont les femmes prostituées (et hommes, enfants, personnes trans)… Les victimes de la prostitution et de violences sexuelles sont les mêmes, dans un continuum des violences sexistes et sexuelles faites aux femmes. Les violences sexuelles sont leur quotidien dans l’activité prostitutionnelle : selon notre étude Prostcost, les personnes prostituées sont 6 fois plus victimes de viols que les femmes en général ; plus de la moitié d’entre elles ont subi un ou plusieurs actes de violences physique ; 64 % d’entre elles ont subi un ou plusieurs actes de violences psychologiques. Et les libertés que les clients prennent avec elles, au prétexte qu’il y aurait consentement par l’argent, ils les prennent à  divers degrés avec toutes les femmes, sous quantité d’autres prétextes, dont celui de la liberté d’importuner. La frontière est bien ténue entre violences sexuelles et violences prostitutionnelles…

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Ainsi, siffler ou insulter une femme qui est sur le trottoir, est-ce du harcèlement ou cela fait-il déjà  partie de la transaction prostitutionnelle  ? A quel moment commence la transaction économique, ce moment où, selon les partisans de la liberté de se prostituer, le harcèlement et l’agression sexuelle cesseraient  ? A quel moment la main au cul devient elle normale  ? A quel moment le non, c’est non que tout le monde revendique aujourd’hui avec raison, pourrait-il devenir subitement non, c’est oui par le seul échange d’argent  ?

Les violences faites aux femmes, un accident  ?

Il y a, dans l’argumentation de la tribune parue début janvier dans Le Monde, un paragraphe qui relie par ailleurs directement la problématique #metoo à  la question de la prostitution  : c’est celui de la dissociation claire que font les auteures entre le corps et la personne.
Les accidents qui peuvent toucher le corps d’une femme n’atteignent pas nécessairement sa dignité et, si durs sont-ils parfois, ne font pas d’elle une victime perpétuelle. Car nous ne sommes pas réductibles à  notre corps. Notre liberté intérieure est inviolable. Et cette liberté que nous chérissons ne va pas sans risque ni responsabilité. 



Ici, chaque idée avancée a de quoi faire bondir. L’emploi du mot accident nie l’intentionnalité de l’agresseur, sur le modèle du traditionnel fléau de la violence faites aux femmes et de la longue litanie des expressions destinées à  en invisibiliser l’auteur, l’homme qui veut commettre un acte contraire au désir de l’autre. Cet accident qui semble si présent dans la recherche d’impunité des agresseurs, on l’a vu tout récemment avec les aveux du meutre de sa femme par Jonathan Daval, qui l’aurait, selon son avocat, « étranglée par accident » !!!

La référence à  la dignité  : on notera que ce n’est pas la victime qui perd sa dignité lors d’une agression sexuelle ou d’un viol, que l’indignité est du côté de l’agresseur, et que c’est justement en le reconnaissant qu’on aide la victime à  ne pas se sentir indigne, salie. La question récurrente de la victime perpétuelle. Je renvoie ici à  la tribune parue dans l’Obs qui développe l’idée que c’est justement en reconnaissant qu’on a été victime qu’on peut s’en libérer.

Mon corps, c’est moi !

Mais c’est surtout la partie : nous ne sommes pas réductibles à  nos corps. Notre liberté intérieure est inviolable qui interpelle. Le slogan : mon corps m’appartient, est aujourd’hui repris partout comme une vérité en soi. Or, qu’est-ce que cela veut dire ?
Hors contexte, mon corps m’appartient semble signifier que mon corps est ma possession, un objet dont je pourrais disposer, et donc faire commerce, comme n’importe quel autre. Un peu comme si mon corps était en dehors de moi. Ici les autrices vont plus loin : il y aurait mon corps d’un côté ; et de l’autre, un moi intérieur inaliénable.

Quel est ce moi distinct dont il est question ici ? Sommes-nous en plein héritage catholique, qui pense que notre enveloppe charnelle n’est que le lieu où l’âme habite durant notre vie ? Ce serait drôle, à  y penser, venant de personnes qui reprochent aux abolitionnistes d’être de méchant.e.s cathos prohibitionnistes… Pensent-elles vraiment que notre psychisme n’a rien à  voir avec le vécu de – et dans – notre corps ? Qu’un coup porté n’affecte pas l’esprit autant que le corps ?
Est-il vraiment possible de dissocier à  ce point les deux ?

La dissociation au cœur du système prostitutionnel

C’est bien de dissociation qu’il s’agit. On le sait désormais grâce aux travaux sur le syndrome de stress post-traumatique, la dissociation est un réflexe du psychisme pour nous sauver d’une atteinte cardiaque ou cérébrale lors d’une attaque extrême de terreur.
Comment ne peut-on pas penser qu’ici on soit au cœur de la dissociation, puisqu’il nous est dit que nous ne sommes pas réductibles à  notre corps, que ce qui affecte le corps n’affecterait pas nécessairement l’esprit ? Et comment ne pas faire le lien avec la prostitution ? Car toutes les militantes et les militants sur le terrain qui rencontrent des personnes prostituées le savent, et les très nombreux témoignages de personnes prostituées recueillis notamment par le Mouvement du Nid le prouvent. Pour survivre dans la prostitution, il est indispensable de se dissocier. Les personnes prostituées sont celles qui sont le plus touchées par le syndrome de stress post-traumatique. Toutes nous le disent, elles font tout pour se dissocier de leur être impliqué dans la prostitution. En prenant d’autres identités, en faisant tout pour distinguer leurs corps soumis à  des actes sexuels non désirés de leur être intérieur (celui où, on imagine, se situe la liberté pour les signataires de la tribune). C’est, avec le déni des violences subies, la condition de leur survie au sein de ce système. Et c’est finalement un silence qui continuait à  peser malgré le mouvement #metoo, et que peut-être malgré elles, les signataires de la tribune des 100 pourraient contribuer à  lever…

Qui sont donc au juste les signataires  les plus connues de la tribune ?
Catherine Deneuve avait signé une tribune de l’ex-chanteur et revendiqué client Antoine contre la pénalisation du client. Catherine Millet et Catherine Robbe-Grillet, étaient signataires d’une tribune intitulée « Ni coupables, ni victimes, pour la liberté de se prostituer » (Le Monde, 9 janvier 2003). Brigitte Lahaie, initiatrice en novembre 2013 d’une pétition contre la pénalisation du client et la loi, s’en faisant la porte voix dans son émission sur RMC. Elisabeth Lévy enfin, qui avait initié et publié dansCauseur le « manifeste des 343 salauds » (ils étaient 18), élégamment intitulé « Touche pas à  ma pute! » .