Les attitudes des prostitueurs

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Peu d’études font le lien entre la représentation que le prostitueur se fait de la femme en général et son attitude vis-à-vis de la personne prostituée. En revanche, la plupart des travaux s’accordent quant à la violence que ces « clients » exercent à leur encontre.

Quelle est l’attitude des prostitueurs vis-à-vis des personnes victimes de la traite ? Quels liens peut-on établir entre demande des prostitueurs et traite des êtres humains ? Dans le rapport Traite des êtres humains, recrutement par Internet[[A. P. Sykiotou, Traite des êtres humains: recrutement par Internet. L’usage abusif d’Internet pour le recrutement des victimes de la traite des êtres humains, COE, 2007. À télécharger sur cette page.]], le Conseil de l’Europe note que dans les comptes rendus que les hommes font de leurs achats, on décèle de nombreux indices qui laissent penser qu’ils utilisent des femmes victimes de la traite.
Il précise qu’une étude menée en 2006 et 2007 par l’université de Thrace, dans le cadre du projet AGIS 66, dans trois pays européens (Grèce, Chypre, Allemagne) sur la traite axée sur la demande, Demand of Stolen Lives. Researching the Demand Side of Trafficking, révèle que la plupart des clients ferment les yeux sur le caractère criminel de la traite des êtres humains et qu’un pourcentage élevé se montre totalement indifférent au sort des femmes. Une seule chose les intéresse : obtenir les services qu’ils ont achetés. Selon une étude israélienne[[H. Ben Israel et N. Levenskron, The Missing Factor. Clients of Trafficked Women in Israel’s Sex Industry, Israël, 2005.]], près de la moitié des « clients » interviewés estiment que des femmes étrangères en donnent plus pour la même somme.
Un tiers pensent avoir plus de pouvoir sur elles. Un tiers n’hésitent pas à voir dans la traite un bénéfice pour eux, expliquant que ces femmes s’occupent mieux de leurs « clients », qu’il y a plus de plaisir et qu’elles sont moins chères.
Certains ont dit ne pas s’intéresser aux conditions vécues par la femme prostituée. Elle est là pour un « service », c’est tout. D’autres affirment éprouver une répulsion à l’idée de recourir aux victimes de la traite. Mais certains, dans ce groupe, ont admis avoir déjà payé des femmes dont ils se doutaient qu’elles l’étaient. Dans ce cas, ils ont justifié leurs actes en invoquant le fait qu’ils étaient ivres, qu’ils n’avaient pas les moyens de s’offrir des personnes plus chères ou que la personne en question se trouvait être la plus immédiatement disponible[[B. Anderson et J. O’Connell Davidson, « Is Trafficking in Human Beings Demand Driven ? A Multi-Country Pilot Study », Migration Research Series, n°15, OIM, 2003. À télécharger sur cette page.]]. Une enquête menée en République tchèque[[Hulikova et Kocourek, Report on the Project « Pilot Research among Customers of Commercial Sex Services in Two Border Régions of the Czech Republic », OIM, 2005.]] conclut également que les prostitueurs ne comprennent pas la situation des jeunes femmes et n’ont qu’une faible conscience de la traite.

Ont-ils recours à la prostitution hors de leur propre pays ?

Plus de la moitié, soit 56% des 110 hommes interviewés en Écosse[L. Anderson, M. Farley, J. Golding et J. Macleod, Challenging Men’s Demand for Prostitution in Scotland. A Research Report Based on 110 Interviews with Men Who Bought Women in Prostitution, Women’s Support Project, 2008. À télécharger sur cette page.] ont déjà eu recours à la prostitution dans un pays étranger (dans 40 pays sur tous les continents, avec une majorité aux Pays-Bas[[Lire [].]]). D’après l’étude irlandaise Escort Surveys[[Étude citée in P. Kelleher et M. O’Connor, Globalisation, Sex Trafficking & Prostitution, the Experiences of Migrant Women in Ireland, Immigrant Council of Ireland, 2009. À télécharger sur cette page.]], un pourcentage significatif d’hommes se rendent à l’étranger en tant que touristes sexuels. Ainsi, 26% sont allés pour cela en Grande-Bretagne, 21% aux Pays-Bas, 12% en Europe de l’Est, 10% aux États-Unis, 9% en Allemagne et 9% en Afrique.

Les violences des « clients » contre les personnes prostituées

Toutes les enquêtes menées dans les milieux de la prostitution montrent le degré élevé de violences qui affectent les personnes prostituées, et notamment celles qui sont exercées par les clients prostitueurs : insultes, coups, menaces, humiliations, viols, voire meurtres[[D. Alvarez, A. Cotton, U. Ezgin, M. Farley, J. Lynne, M. E. Reyes, F. Spiwak et S. Zumbeck, Prostitution & Posttraumatic Stress Disorder : Update from Nine Countries, Journal of Trauma Practice, vol. 2, n° 3/4, 2003.]] … Ainsi de l’étude irlandaise Globalisation, Sex Trafficking and Prostitution, the Experiences of Migrant Women in Ireland précédemment citée[[P. Kelleher, M. O’Connor, ibidem.]] qui aborde le vécu des personnes prostituées, les dommages psychologiques, la violence des « clients », les conséquences sur la santé. Parmi les enquêtes récentes, celle menée à Genève[[A. Földhazi et M. Chimienti, Marché du sexe et violences à Genève, Université de Genève, 2006.]] est sans appel : quel que soit le lieu de prostitution, la première source de violences est le prostitueur. Violences économique, physique, psychique, verbale. S’il est difficile d’avoir des informations précises en la matière, il semblerait que la majorité des violences recensées soit le fait d’une minorité de prostitueurs[[H. Bell, N. B. Busch, N. Hotaling et M. A. Monto, Male Customers of Prostituted Women : Exploring the Perceptions of Entitlement to Power and Control and Implications for Violent Behavior Toward Women, Violence Against Women, vol. 8, n°9, 2002.]]. Toutefois, l’étude du sociologue Grubman Black[[S. Grubman Black, Deconstructing John, Demand Dynamics Conference, Depaul University, Chicago, Illinois, 16 octobre 2003.]] — lequel, selon Donna Hughes, a usé de méthodes moins complaisantes envers les hommes interrogés — a mis à jour davantage d’attitudes d’agressivité et de violence envers les femmes. Selon une enquête sud-africaine de 2008[[C. Gould, N Fick, (en collaboration avec), Selling Sex in Cape Town : Sex Work and Human Trafficking in a South African City, Pretoria/Tshwane, South Africa, 2008.]], l’une des causes de la violence des clients prostitueurs serait le refus de la personne prostituée de répondre à certaines demandes, particulièrement le sexe anal ou le rapport sans préservatif (qui renvoie aux normes de masculinité voulant que ce soit l’homme qui décide dans ce domaine). Une forme de violence fréquente est relevée par toutes les enquêtes et observations de terrain : un nombre important d’hommes demandent des actes sexuels non protégés. Citons par exemple l’enquête menée en Irlande auprès de 469 « escortes » [2008] : 9% des « clients » interrogés ont dit avoir eu des rapports vaginaux non protégés et un pourcentage bien plus élevé (entre 36% et 57%) d’autres pratiques non protégées (rapports anaux et oraux). Les personnes prostituées sont, dans la situation très concurrentielle du marché du sexe, clairement mises en danger.

Quel est le rapport des prostitueurs aux femmes en général ? Sait-on quelle est leur position sur des questions comme le viol par exemple ?

Une question peu étudiée, pourtant déterminante mais aux résultats contradictoires. L’enquête écossaise[[L. Anderson, M. Farley, J. Golding et J. Macleod, op. cit.]] montrerait chez la plupart des prostitueurs une forme de misogynie latente, de faible à très forte. D’après Mcleod, les hommes qui recourent fréquemment à la prostitution et qui regardent de la pornographie sont plus susceptibles que les autres de commettre des actes sexuellement agressifs contre des partenaires non prostituées. Le fait d’être « client » ne ferait que renforcer les sentiments de dévaluation des femmes en général, au point de changer leur opinion sur les femmes mais aussi leur comportement. En revanche, Monto[[M. A. Monto et N. McRee, A Comparison of the Male Customers of Female Street Prostitutes with National Samples of Men, International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology, XX(X), 2005. À télécharger sur cette page.]], qui a comparé 1672 hommes américains « clients » avec des hommes qui ne l’étaient pas, conclut que les prostitueurs n’ont pas plus tendance à avoir déjà « forcé » une femme. Ce point corrobore d’autres études[[M. Monto et N. Hotaling, Predictors of Rape Myth Acceptance among the Male Clients of Female street prostitutes, Violence against Women, n°7, 2001.]] qui montrent que les « clients » n’ont pas plus tendance à endosser les mythes relatifs aux viols que les autres hommes. Ceci ne remet pas en cause le fait que les personnes prostituées sont fréquemment victimes de violence. Pour Davidson[[J. O’Connell Davidson, Prostitution, Power and Freedom, University of Michigan Press, 1998]], les images qui pèsent sur la prostituée ont des conséquences pour l’ensemble des femmes : La putain représente « l’animal sexuel », les pulsions et les désirs, désirs sexuels qui, dans une grande mesure, sont chargés de culpabilité. La « putain » représente une face de l’image dédoublée de la femme que les hommes de la société patriarcale portent en eux. Cette image oriente la manière dont les hommes se conduisent avec les femmes dans diverses situations.

Quelles pistes pour réduire la demande ?

Réduire la prostitution exige des changements individuels et sociétaux. ­- Entreprendre une politique de prévention auprès des garçons et des jeunes hommes puisque la majorité des prostitueurs connaissent leur premier rapport prostitutionnel avant 25 ans et acquièrent ainsi une certaine image des rapports hommes/femmes. Les aider à résister à la pression des pairs. – Informer sur les dommages réels de la prostitution. Déconstruire les mythes et stéréotypes : elles aiment ça, elles l’ont choisi, elles gagnent tellement d’argent. – Travailler sur les contradictions des prostitueurs : beaucoup prétendent que la prostitution est un choix mais disent dans le même temps qu’elle est due à la nécessité économique et que les femmes prostituées n’aiment pas le sexe dans la prostitution. – Instaurer des normes claires d’interdiction. C’est l’existence même du marché du sexe, le fait qu’un rapport sexuel soit une tran-saction commerciale, qui, pour beaucoup, légitime l’acte. Payer est un moyen d’éluder la responsabilité humaine face à autrui.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.