Abusivement présentée dans les médias comme une grande « première », cette initiative d’un bordel du comté de Nye, dans le Nevada, promet la mise à disposition de prostitués masculins à l’intention d’une « clientèle » féminine.
Toute l’affaire se résume au vote d’une modification du code sanitaire[CBC News, [Nevada gives ‘green light’ to its first male brothel, 11 janvier 2010.]] appliqué aux bordels dans le Nevada, seul état américain à autoriser le proxénétisme et la prostitution. Les prostituées doivent se soumettre à un examen médical intrusif et insuffisant pour diagnostiquer une infection sexuellement transmissible, l’examen du col de l’utérus. À présent, à la suite de la demande d’un bordel, le « Shady Lady Ranch », ces examens pourront porter sur l’urètre, de manière à ce que les médecins soient en mesure de signer un « permis de prostitution » pour un homme s’il se présente.
Outre que ces dispositions sanitaires demeurent une arnaque en termes de prévention – nombre d’IST sont invisibles au début de leur évolution, et une infection au VIH peut rester indétectable par les tests sanguins trois mois durant après le rapport contaminant – elles sont également une vexation et une discrimination, puisque les prostitueurs (« clients ») en sont dispensés. On peinera donc à juger progressiste l’extension de ces mesures aux hommes.
Un non-événement pour une « clientèle » introuvable…
Parmi les pays autorisant le proxénétisme, rares sont ceux qui n’ont pas abrité un jour un bordel lançant à grands renforts de communication son « service pour femmes ». Ces démarches donnent l’illusion d’une prostitution banalisée et non sexiste, puisque même les femmes y auraient recours… sauf qu’aucun bordel n’a pu prouver que des femmes venaient effectivement se payer des prostitué-e-s.
En effet, l’existence d’une « clientèle » féminine pour la prostitution reste encore à établir, les femmes « clientes » représentant une pourcentage infiniment minoritaire au sein des bataillons d’hommes prostitueurs, que l’on se réfère aux informations des personnes prostituées elles-mêmes ou aux enquêtes menées à ce jour sur les « clients » de la prostitution[L’enquête française menée en 2004 auprès de 6000 personnes – en tout anonymat -, pour le Mouvement du Nid établissait à 12,7% le pourcentage d’hommes disant être « clients ». Et à 0,6% celui des femmes… Mouvement du Nid, Les clients en question. Enquête d’opinion publique, juin 2004. À télécharger su le site du [Mouvement du Nid.]]. On prétend que ces femmes demeurent invisibles à cause de la honte qui pèseraient sur elles si on les voyait consommer de la prostitution. Cependant, une récente thèse de sociologie[[Sylvie Bigot, L’escorting : approche sociologique d’une forme de prostitution, Université de Caen, 2008.]] portant sur la prostitution par internet – donc une forme de prostitution cachée et anonyme – a nécessité des entretiens avec une trentaine de personnes prostituées, dont neuf hommes : jamais ils et elles n’ont rencontré de « cliente ».
Au Nevada comme partout ailleurs, ces hommes prostitués vont donc probablement satisfaire une « clientèle » masculineIl s’agit d’ailleurs de la seule objection faite au projet du « Shady Lady Ranch » d’accueillir des prostitués hommes : ceux-ci vont attirer une « clientèle » masculine. L’homosexualité étant encore très mal vue – contrairement au fait d’être « client » de la prostitution – des tenanciers de bordels craignent un scandale qui entraînerait la fermeture d’établissements ou même l’interdiction de l’exploitation de la prostitution, comme dans les autres États américains. Lire à ce propos : AFP, [Nevada brothel seeking a few good men in US first, 11 janvier 2009.]], conformément à la conception selon laquelle la prostitution, loin d’être une simple option de la sexualité humaine, est un acte de domination où un homme exerce son droit à disposer du corps d’autrui, qu’il s’agisse d’une femme… ou d’un enfant, ou d’un autre homme[[Voir par exemple notre article [].]].
… mais un joli coup médiatique
On voit que l’égalité hommes-femmes ne devrait pas être servie par l’initiative du « Shady Lady Ranch ». Les tenanciers des bordels, en revanche, y trouvent une publicité bienvenue.
Le Nevada est familier des « coups de pub » de l’industrie du sexe : la première mention d’un « bordel pour femmes » remonte aux années 60[John Bogert, [Male brothel idea in Nevada not new, just ask Heidi Fleiss, 11 janvier 2010.]] ; d’autres trouvailles, telles que la mise aux enchères d’une femme vierge[Mark Waite, [Hof eyes Richards’ brothels, 8 janvier 2010.]] ou la distribution de coupons de réduction sur l’essence[Il s’agissait déjà du « Shady Lady Ranch ». Henry Brean, [Brothel to offer gasoline gift cards, 17 juin 2008.]] ont su en leur temps assurer la promotion des bordels.
Car il s’agit bien de promotion. Le secteur légal de la prostitution, au Nevada, ne compte que pour moins de 10% de l’ensemble du système proxénète. En réalité, la grande majorité des personnes sont prostituées dans la rue, dans des bars ou des pseudo-salons de massage ou en appartement ; les bordels sont d’abord une vitrine donnant des assurances de sécurité et d’ordre, et contribuent à banaliser et rendre acceptable la prostitution et le proxénétisme. Or, cette vitrine est sérieusement obscurcie au fur et à mesure que le bilan de la politique réglementariste s’aggrave[Sur ces points, lire notre article : [.]].
À ces problèmes de fond s’ajoutent des remous conjoncturels : des affaires de corruption[[Mark Waite, déjà cité.]], la crise économique, qui persuade de plus en plus de prostitueurs de renoncer au confort des bordels… on imagine que le « Shady Lady Ranch » et son idée si moderne et égalitaire, tombent à point pour baigner les proxénètes sous une lumière plus flatteuse.
En témoignent les minauderies du couple Davis, les propriétaires du « Shady Lady Ranch » : lui, ne tente l’expérience que pour faire plaisir à sa femme, qui voulait essayer : on ne sait pas si ça va marcher, mais ce sera amusant de le découvrir
; elle, déploie toute son intuition féminine pour recruter les oiseaux rares qui conviendront à la future clientèle. Un recrutement tout en rigueur et misogynie : Ils devront être capables de rire aux plaisanteries des dames!
, explique t-elle aux journalistes[[AFP, déjà cité.]].
Et monsieur Davis ne cache pas sa déception devant le peu de réactions de l’opinion publique : à part les journaux en mal de sensationnel, bien peu semblent s’intéresser à son établissement, ainsi qu’il le confie avec regret à la journaliste de CBC News[[Cité ci-dessus.]] :
Je suis (…) un peu stupéfait car personne n’a protesté. On espérait de l’opposition. On nous avait dit qu’une foule de puritains allait venir.
Epilogue
Deux mois seulement après ce coup publicitaire, l’expérience était abandonnée, selon une dépêche du 26 mars 2010 de l’agence de presse AP : moins de dix « clientes »
, selon l’estimation floue du tenancier, s’étant présentées au bordel.