12 ans pour le viol d’une femme prostituée : un nouveau regard de la justice ?

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Les mentalités évoluent. Une nouvelle preuve, le verdict sévère de la Cour d’Assises de Bobigny contre le violeur d’une femme prostituée, le 9 avril 2019. Pour le Mouvement du Nid, qui s’était porté partie civile, c’est le signe que ces personnes, dont la vulnérabilité est mieux reconnue, commencent enfin à  être entendues lorsqu’elles portent plainte.

L’agresseur d’une femme de 34 ans, victime d’un viol en novembre 2013 alors qu’elle était prostituée porte de Clichy, a été condamné par la Cour d’Assises de Bobigny a 12 ans de réclusion pour viol avec violence et vol. Récidiviste, il avait déjà  violé deux femmes par le passé. La victime obtient 15.000 € de dommages et intérêts.

Les faits étaient tristement banals. Après l’avoir fait monter dans sa voiture, l’homme l’a amenée dans un parking sombre, l’a violée en la menaçant de mort, l’a humiliée et lui a volé son argent. Courageusement, elle avait porté plainte alors qu’elle parlait à  peine le français et qu’elle était encore sous l’emprise de son réseau. Il lui restait, accompagnée par la délégation du Mouvement du Nid de Paris qui la suit depuis 2015, à  affronter une procédure judiciaire longue et difficile.

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La particularité de ce verdict tient au fait que les examens médicaux n’ont pas révélé de traces de coups sur le corps de la jeune femme. Seul un trouble de stress post traumatique a été constaté. Sa parole a donc suffi, chose rare, ainsi que la plaidoirie des avocats (Maître Questiaux pour la victime et Maitre Dekimpe pour le Mouvement du Nid) qui ont montré que l’agresseur avait bien, en choisissant une femme prostituée, l’intention de violer en imposant son désir unilatéral à  une personne qu’il savait vulnérable ; et qu’il pensait de plus, du fait du peu de crédibilité traditionnellement accordé à  ces personnes, bénéficier de l’impunité.

Grâce à  son investissement auprès de la délégation de Paris du Mouvement du Nid, la jeune femme a pu peu à  peu s’extraire du réseau, obtenir un titre de séjour, apprendre le français et passer un diplôme d’assistante maternelle. Aujourd’hui elle a un emploi et élève son enfant de quatre ans. On peut penser que sa victoire judiciaire est une des retombées de la loi du 13 avril 2016. Car l’objectif était aussi de changer le regard sur les personnes prostituées, de cesser de les regarder comme fourbes et fautives, et de leur rendre la dignité qui leur est due.

3 questions à  Lorraine Questiaux, avocate de la victime

Cette reconnaissance de la parole d’une victime prostituée a encore de quoi surprendre!

Oui, c’est une formidable victoire. Ce procès d’assises a prouvé qu’enfin la parole d’une femme prostituée avait la même valeur que tout autre parole et qu’elle pouvait être entendue. Ici, la victime a pleinement participé à  l’audience, s’est exprimée en français et a tenu bon face aux questions de la défense. Il est très rare de voir une femme victime se lever au milieu d’une cour d’assises et s’adresser directement à  son agresseur : « Tu vois, c’est fini, je ne mange plus les capots de bagnoles et je ne mange plus les préservatifs ! » Des expressions qu’il avait utilisées en parlant d’elle! Pour nous, c’est une réussite de l’accompagnement réalisé par notre délégation. Elle y a trouvé l’espace pour reprendre confiance en elle.

La jeune femme ne présentait pas de traces physiques de l’agression ?

Il y avait des éléments matériels mais pas ce que l’on attend classiquement dans un viol, les bleus et les traces d’agressions. Ici, nous avons plutôt entendu sa parole claire, audible et crédible. C’était extrêmement fort. La défense a plaidé qu’il n’y avait rien dans le dossier et que le doute devait profiter à  l’accusé. Pendant ma plaidoirie (une heure de pédagogie), j’ai expliqué que le doute devait en effet venir du dossier, pas des préjugés de la société et de l’ignorance des réalités de la prostitution. J’ai exposé la stratégie de l’agresseur qui choisit une personne vulnérable parce que prostituée. Il la traite en objet avec l’intentionnalité de l’avilir. Ces composantes sont aussi celles du viol. La défense a ironisé : « Si on suit la partie civile, madame aurait subi 1500 viols ? » Eh bien oui.

Diriez-vous que ce procès est une première ?

Pas une première puisque nous avons aussi gagné à  Metz, à  la Cour d’Assises de Moselle en novembre 2018. Deux « clients » de personnes prostituées ont été condamnés pour viols et violences à  12 et 18 ans de prison. Mais la victime portait des traces de coup. Le tribunal avait défini le recours à  la prostitution comme un acte imposé par la violence et la contrainte sur des personnes vulnérables. Aujourd’hui, une nouvelle fois, un lien est établi entre viol et prostitution. Un jury composé de personnes lambda a compris les enjeux. La société évolue.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.