Stéphanie  : «  Quand j’entends parler de travail du sexe, je suis hors de moi  »

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Pas d’enfance, une jeunesse fracassée par les violences de «  compagnons  » et de «  clients  ». Stéphanie a connu la prostitution de 2014 à 2016  : deux années qui lui ont laissé des cauchemars… et un surendettement.  Aujourd’hui, à 27 ans, elle sort de la culpabilité et réapprend tout avec un plaisir neuf. Une belle victoire, conquise de haute lutte.

Mes parents ont divorcé quand j’avais 8 ans. Je n’ai pas eu d’enfance. J’ai pris le rôle du père auprès de ma mère qui n’allait pas bien et de mes deux petits frères. Avant, quand mon père était là, il insultait ma mère et il cassait tout. Je me souviens qu’il s’enfermait dans sa chambre pour regarder des films « porno ». Je me faisais engueuler quand je rentrais. Très tôt, j’ai vu ces images. Je trouvais ça bizarre, un pénis.

Je me suis raccrochée à l’école et j’ai eu mon bac. J’ai préparé le concours d’infirmière, que j’ai raté une première fois. En attendant de le repasser, j’ai travaillé comme secrétaire médicale. Là, j’ai subi le harcèlement sexuel de mon patron  ; j’ai porté plainte et j’ai gagné aux prud’hommes.

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Pour faire une prépa à ce concours, j’ai eu besoin de 1000 €. Personne ne pouvait m’aider, surtout pas ma mère qui était en surendettement ni mon père qui avait 300.000 € de dettes. Je me suis donc présentée dans un bar à champagne. Je m’étais donné une limite et le patron avec qui j’ai eu un pseudo entretien m’a dit  : «  aucun rapport sexuel dans l’établissement  ». Je suis restée un mois, non déclarée, payée à la semaine. J’aguichais les hommes pour qu’ils consomment. J’ai arrêté du jour au lendemain. J’étais fatiguée et j’avais peur de la police. Et puis c’était très difficile. J’étais timide, je détestais aborder les gens. Mais j’ai eu mes mille euros.

« En fait, ils ont planté la graine dans ma tête en me disant que j’étais belle et que je ferais de l’argent ».

 

En 2011, j’avais une relation avec un garçon tunisien et bien qu’il m’ait dissuadée, jeme suis convertie à l’Islam. J’ai adopté un prénom musulman, j’ai mis un foulard et je suis devenue bénévole à la mosquée. Là dessus, j’ai réussi le concours. Dans l’amphi, j’étais solitaire, je ne supportais pas les gens qui consommaient de l’alcool ou des cigarettes. Je me suis isolée mais j’ai validé ma première année.

A l’époque, je trainais avec des garçons de mon quartier, des maghrébins marginaux, plus ou moins dans la drogue  ; certains avaient fait de la prison. J’ai aussi retrouvé un homme qui m’a expliqué qu’il avait une copine prostituée et qu’il fallait que je la rencontre. En fait, ils ont planté la graine dans ma tête en me disant que j’étais belle et que je ferais de l’argent. Sur le moment, j’ai dit hors de question et j’ai coupé les ponts. Mais je n’allais pas bien, j’avais mal vécu un stage où j’avais assisté à des maltraitances de la part de professionnels de santé. Je me suis mise en arrêt et j’ai pris des calmants. Beaucoup. Les pompiers m’ont transportée à l’hôpital.

Je me suis dit que je ferais ça deux mois…

La deuxième année, j’ai eu 1000 € de loyer en retard. Je n’avais que 250 € de mon père, comme pension. Personne à qui parler de mes problèmes  ; il fallait que je trouve une solution. J’ai décidé de mettre une annonce sur Internet. J’ai été stupéfaite de voir le nombre incroyable d’appels  ! Je me suis dit que je ferais ça deux mois.

J’ai reçu mon premier client dans mon appartement, je m’en souviendrai toujours. Je tremblais en ouvrant la porte. Mais il a été gentil et j’ai trouvé que c’était facile. Du coup, j’ai commencé à faire 2 à 3 clients par jour. Evidemment, j’ai vite arrêté l’école. On m’a coupé l’électricité, je suis passée à temps plein. Mais il me fallait quelqu’un pour ma sécurité. Mon meilleur ami s’en est chargé, il m’apportait mes repas et des préservatifs  ; en prenant 50 %. Pour ma conversion à l’Islam, mes amis m’avaient dit «  pas de problème du moment que tu fais tes prières  ».

Puis j’ai commencé dans les hôtels. Tout est allé tellement vite  ! A partir du moment où j’avais eu un premier client, autant y aller complètement. Je suis vite arrivée à dix par jour, donc à 1000 euros quotidiens. Je n’ai rien mis de côté. Cet argent me brûlait les doigts. Lui, par contre, s’est payé son permis et sa moto. Avant, il était dans la cocaïne, il se disait que là c’était moins risqué.

Nos rapports se sont vite dégradés. Il voulait tout contrôler, il exigeait un SMS à chaque passe, avec le prix. J’avais peur de lui et pour m’en débarrasser, je suis partie rejoindre un autre ami, à Marseille. Il m’a présenté un cousin qui «  gérait  » des filles. Il consommait de la cocaïne. Il m’a dit qu’il allait me ramener des clients et qu’il voulait être payé en nature.

« Je veux juste que ça se termine. J’ai l’impression que mon corps est mort ».

Là je tombe dans un autre monde.  Je n’ai pas le moral, les clients sont les pires que j’aie jamais eus. Entre temps, à Modane où j’occupe l’appartement d’un ami de mon proxénète de Marseille, je me retrouve utilisée comme cadeau d’anniversaire par six hommes. Un seul va me payer. Je ne dis rien mais j’ai le sentiment d’avoir été abusée. A Marseille, au retour, je vais voir un homme de mes relations dans son épicerie pour boire un verre. Je suis épuisée et je demande à monter me reposer. C’est là qu’il me rejoint et qu’il me viole. Il est sous cocaïne. Je ne fais rien. Je veux juste que ça se termine. J’ai l’impression que mon corps est mort. En bas, mon ami est là, de mèche. Quand je lui dis «  il m’a violée  », il me répond  : «  Demain, je te donne 50 € et ce sera comme si c’était un client.  » J’ai pris une douche à m’arracher la peau. Un cauchemar.

En août 2016, je porte plainte. En fait, c’est ma mère qui s’inquiète pour moi et qui fait une main courante. Convoquée par la police, je raconte tout, le viol, la prostitution. Avant, je pensais qu’en tant que prostituée, je ne pouvais pas avoir été violée. Et puis j’avais peur de mettre la police là dedans. Mais j’avais tellement de flashs, de cauchemars, d’angoisses, là j’ai parlé. Je n’avais encore jamais pu  ; si une fois, aux urgences, à une infirmière et un psychiatre mais ils m’avaient juste dit de porter plainte et ils m’avaient laissée repartir. Ce jour là, j’ai donné le nom de mon violeur. Plus tard, j’ai écrit au procureur pour donner les autres noms. Entre temps, j’avais compris que les «  amis  » qui m’entouraient étaient des proxénètes. Tout ce que j’avais supporté n’était plus supportable.

Je subis tout, je ne dis rien

Après le viol, je postule dans un salon en Suisse. Le Vénusia, à Genève. J’ai vu un documentaire à la télé qui explique que c’est encadré, sécurisé. La patronne, Madame Lisa, me propose le logement collectif sur place, avec les autres filles, contre paiement. C’est la pire nuit de ma vie. Je me sens tellement mal. Je vais tout de même faire mes papiers à la Brigade des Mœurs. Entre parenthèses, personne ne me demande le moindre bilan de santé…

Au Venusia, le client fait son choix, le «  menu des plaisirs  » à la main. On est censée utiliser des préservatifs mais la patronne dit « faites ce que vous voulez.  » C’est la première fois que je fais une passe à trois. Ca me dégoûte. En plus, la location de la chambre, les draps, les 40 % qu’elle prélève, aucun intérêt. Je suis restée trois jours. J’ai dit que j’allais faire des courses et je suis partie. Je ne retournerai jamais en Suisse.

A mon retour, ma mère découvre que je suis «  escorte  » en tombant sur le contenu de ma valise. J’ai honte, je disparais. Dans mon appartement, l’électricité a été coupée. Je retrouve mon ancien copain, je suis cadeau d’anniversaire pour ses amis, sans rémunération mais contre de belles chambres d’hôtel. Il me dit que je suis privilégiée, il y a peu de filles dans son cercle d’amis. La classe, quoi.  Je commence à consommer du cannabis parce que j’ai de plus en plus de mal à faire les passes. Je dis non aux hommes qui demandent à me payer en cocaïne. J’ai tellement peur de mourir si j’en prends. Mon proxénète m’y pousse en m’expliquant que les choses seront plus faciles, la sodomie par exemple. Mais je tiens bon.

« tu n’es pas heureuse, je vais t’aider ».

Un jour, pendant le ramadan, arrive un homme qui ne me semble pas comme les autres. On parle, il me fait juste la bise et me dit «  tu n’es pas heureuse, je vais t’aider.  » Le lendemain, nous avons notre première relation sexuelle et là, au milieu, je m’effondre en pleurs. Je pleure comme je n’ai jamais pleuré.

C’est comme ça que j’atterris comme serveuse dans son bar. Je me sens respectée, il n’y a aucune allusion sexuelle. Il impressionne les types avec qui j’étais avant qui finissent par abdiquer. Pour moi c’est un magicien. Il a des problèmes de papiers, plusieurs identités, mais je ne pose pas de question. Il me dépanne financièrement, me fait jeter mes robes et mes talons. Il fait le vide. Je n’ai plus de contacts avec mes parents ni mes amis. Au début c’est un soulagement. Jusqu’au jour où il commence à rogner mon salaire si bien que je reposte une annonce. Il tombe dessus, je suis morte de honte. Il me paye une école d’esthétique, je passe un CAP. J’obtiens un emploi, je m’éloigne de lui, je recommence à me maquiller, ça ne lui plaît pas. Un jour, il est bourré, il me frappe. C’est un choc horrible. Mon sauveur est devenu mon bourreau. Puis il pleure, il est désolé. Moi je me sens coupable, comme toujours. Je subis tout, je ne dis rien. Je fais des crises de boulimie, je prends du poids. Il m’insulte. Un jour, on se dispute et en pleine rue il me frappe à coups de pied et coups de poing et me menace de me mettre une balle dans la tête. J’ai peur de mourir. Aux urgences, je suis reçue par un médecin qui me conseille de m’enfuir et de porter plainte. Mais j’ai trop peur de le perdre. Les coups vont durer six mois, je subis toutes les maltraitances, physiques, psychologiques, sexuelles.

« Je commence par dormir, dormir, dormir avant qu’on me booste pour me sortir de ma léthargie ».

En juillet 2018, j’apprends qu’il est incarcéré. Au magasin où je travaille, je fais une crise de nerfs et je me mets en arrêt. Une fois en liberté conditionnelle, il m’annonce qu’il rompt. Je n’en peux plus. Je demande à mon médecin à être hospitalisée. On me met en psychiatrie pour «  décompensation anxio-dépressive et troubles de la personnalité  ». Je rentre à l’hôpital pour un mois. Je vais rester huit mois.  Je commence par dormir, dormir, dormir avant qu’on me booste pour me sortir de ma léthargie.

A l’hôpital, je prends du recul. Au début, je passe mon temps à relire ma plainte. C’est comme un coup de poignard à chaque fois. Je me demande comment j’ai pu subir tout ça… J’en sors en juillet 2019, avec le sentiment d’être guérie.

Personne n’a jamais vu que j’allais mal

Avec le recul, comment j’ai fait pour tenir reste un mystère. Les clients… Même ceux qui venaient juste pour parler, je devais supporter ce qu’ils avaient à dire. C’est épuisant. Au début, dans la petite ville où j’ai commencé, ça allait. Et puis c’est devenu plus compliqué  : les jeunes qui venaient à plusieurs et qui cherchaient à négocier. A Marseille, c’était dur  : il y avait des guetteurs des quartiers qui gagnaient beaucoup d’argent avec la drogue, des harceleurs, des types menaçants, beaucoup d’hommes sous cocaïne… Certains étaient violents dans les gestes, d’autres, à la recherche de chair fraiche, venaient se vider  ; ou ils étaient cinglés et avaient des demandes horribles. Je disais non tout de suite. Quoique… Au début, j’avais dit «  pas de sodomie  » et j’y suis passée quand même.

« Je me rends compte maintenant que dans la prostitution je ne savais plus qui j’étais ».

Moi qui étais maigre, pendant toute cette période, j’ai pris 27 kilos. Je suis passée du 36 au 44. Je suppose qu’inconsciemment, j’ai fait ce que j’ai pu pour repousser le regard des hommes. Je me rends compte maintenant que dans la prostitution je ne savais plus qui j’étais. J’avais laissé tomber tout ce que j’aimais. Moi qui adore la culture, la lecture, je ne m’intéressais plus à rien. J’avais trop de pensées parasites, je n’y arrivais plus. J’étouffais dans le même cercle. Des fois, je ne voyais même pas la lumière du jour. Je pleurais. Ma vie, c’était les fast-foods, le sommeil décalé, pas de lieu fixe. Et la peur, souvent. Peur des clients, peur de la police, peur des hommes autour de moi. J’étais sur le qui vive. Les derniers temps, je n’en pouvais plus. J’avais des cauchemars, des crises d’angoisse. J’ai vraiment pensé au suicide. Si j’étais restée plus longtemps, je pense que je serais morte.

Aujourd’hui, je suis encore en surendettement. Tout l’argent de la prostitution est parti  : les hôtels, l’argent que j’ai donné aux uns aux autres, les annonces, les téléphones, les cartes Sim, les recharges, les préservatifs, les repas dehors, la lingerie, les tenues, les huiles de massage… Quand j’allais sur le site Vivastreet, c’était 90 € pour poster l’annonce puis un tas d’options  : pour être prioritaire, avoir un cadre rouge, changer le nom de la ville, etc. Pour un seul mois, je payais dans les 250 à 300 €.

Quant à l’Islam, peu à peu, je ne suis plus allée à la mosquée. J’y suis juste retournée pour obtenir mon papier de «  déconversion  ». En fait, je cherchais une autre famille, comme dans la prostitution. Pour être moins seule. J’aurais voulu avoir un père, j’aurais voulu avoir des personnes sur qui me reposer. Personne n’a jamais vu que j’allais mal.

Je réapprends tout…

Aujourd’hui, je passe encore deux nuits par semaine à l’hôpital et je vois une psychologue. Tout est à reprendre à zéro. Pendant tout ce temps de prostitution, je n’ai pas eu de contraception. Je trouvais que c’était trop cher. J’ai eu des problèmes gynécologiques, un papillomavirus. Je n’avais jamais fait de bilan HIV, j’avais trop peur. Je sais maintenant que je suis négative, j’ai eu beaucoup de chance.

Mes impôts n’étaient pas à jour. J’avais perdu mes papiers d’identité et ma carte vitale. Maintenant, j’ai mes papiers rangés dans des pochettes. Avec l’exemple que j’ai eu de mon père, reprendre un budget normal, c’est difficile. Mais je commence à régulariser mes dettes et à stopper les achats compulsifs.

Je ne veux pas revivre ce que j’ai enduré. Je travaille sur ce qu’est une sexualité épanouie. Je vois toujours mon compagnon d’avant, qui a des demandes dégradantes, mais je travaille tout ça avec ma psy et j’essaie de limiter les contacts. Je suis aussi obligée de faire le ménage dans mon entourage. Récemment, un ami m’a proposé de m’aider si je voulais me reprostituer  ! Jusqu’ici, je n’ai vécu tout ça que pour faire plaisir aux hommes. Je réapprends à prendre une douche, pas pour laver les saletés que j’ai subies, mais pour me faire du bien. Je suis un bébé, je réapprends tout.

« J’apprends l’échange, la confiance, je crée des liens ».

Comme j’ai été en dépression, heureusement je suis remboursée à 100 %. C’est ce qui m’a permis de voir des psychologues pendant mon hospitalisation. J’ai entamé une thérapie psycho-corporelle, je découvre les activités avec les autres, la relaxation, les mandalas, le sport, la nature. Je fais du photo-langage, un outil fantastique pour apprendre à m’extérioriser. Je travaille sur l’estime de soi, j’avance doucement. Je vais faire des séances d’hypnose ou d’EMDR.

En fait, je découvre que je peux être écoutée par des gens qui ont aussi vécu des choses difficiles, moi qui croyais que j’étais seule et que personne ne pouvait comprendre. J’apprends l’échange, la confiance, je crée des liens. J’ai même des copines  ! J’ai fait ma première soirée pyjama à 27 ans. C’était génial.

Malgré tout, j’ai encore beaucoup d’angoisses. Et si à nouveau je n’ai plus rien, si je n’ai plus de cadre, est-ce que je ne vais pas replonger  ? Quand j’ai mis ma première annonce, je n’en ai qu’un souvenir flou, mais c’est comme si ce n’était pas moi. Je sais maintenant qu’on tombe à toute vitesse et qu’on ne se rend compte de rien. On se retrouve avec beaucoup d’argent d’un coup, on le dépense puisqu’il y en aura autant demain, on arrête le boulot ou l’école, on a la pression d’un «  copain  », il nous représente d’autres gens… Et ça continue.

Mes belles rencontres

Plusieurs personnes ont été décisives dans mon parcours. Un brigadier de police, qui m’a dit, à moi qui me sentais toujours coupable  : «  Vous êtes une victime de la prostitution  ». Il m’a orientée vers une psychologue. Enfin une main tendue. Egalement la directrice d’une mission locale  vers laquelle m’avait dirigée une assistante sociale  : une femme exceptionnelle qui m’a passé des mails, des SMS, m’a dit «  je m’inquiète  » alors que je m’enfuyais à chaque fois que les choses devenaient difficiles. Elle n’a jamais compté son temps. Une vraie présence. J’ai pu passer un mois en collectif alors que c’était terriblement difficile pour moi, et même toucher 380 € par mois pendant un an. Je lui dois beaucoup. Il y a eu aussi la directrice d’un magasin où j’ai travaillé. Elle me voyait arriver avec des coquards, que j’essayais de cacher sous le maquillage, et elle est intervenue  : «  Tu ne peux pas rester avec ça.  »

« Même si des clients sont gentils, leur démarche reste d’acheter un corps de femme ».

La loi de 2016, je la trouve très bien. Même si des clients sont gentils, leur démarche reste d’acheter un corps de femme. Ils vont sur des sites pour entretenir ce commerce. J’aurais voulu les rencontrer dans d’autres circonstances. Après tout, un braqueur aussi peut être gentil. Ce n’est pas pour autant qu’il ne tombe pas sous le coup de la loi.

Aujourd’hui, pour moi, la prostitution est clairement une violence  ; un viol tarifé, même si c’est moi qui suis allée mettre mes annonces et si c’était entre guillemets, «  consenti  ». Cette expérience a déglingué mon estime de moi. Je me sentais sale, bonne à rien  ; une merde. Je ne l’ai pas fait une seule seconde par plaisir. Au contraire. Les hommes me dégoûtent. Quand j’entends parler de «  travail du sexe  » je suis hors de moi. Pour dire que c’est un travail, il faut vraiment ne pas l’avoir vécu.

Je remonte maintenant, mais c’est long. Ma plainte est en cours et je suis en train de monter un dossier d’aide juridictionnelle. Il me resterait encore à porter plainte contre mon ex-copain. Pour le moment j’en suis incapable, je sais bien que je suis encore sous son emprise.

En ce moment, je vis grâce à Pôle Emploi et à l’héritage de mon grand père. Comme j’ai du temps, je suis bénévole au Mouvement du Nid. La délégation m’a permis de témoigner et m’a donné des ouvertures sur des thérapies. Je ne vais pas sur les lieux de prostitution et je ne fais pas encore d’actions de prévention auprès des jeunes, je suis trop à vif. Mais je donne un coup de main pour établir des contacts avec des personnes prostituées par Internet. Ce que je veux, c’est qu’elles sachent que nous existons. Je me souviens, en Suisse, avoir eu une petite carte de la Brigade des Mœurs en cas d’urgence. Je l’ai toujours gardée. Et à l’avenir, je voudrais proposer des ateliers pour les femmes victimes de violences et de prostitution  : apprendre à tenir un budget, à prendre soin de soi, à s’alimenter correctement, faire des journées détente  : tout ce qui m’a tellement manqué moi-même…