Geneviève Fraisse : « on est passé de la ‘propriété’ à la ‘possession’ du corps des femmes

1582

 « Service sexuel » ? La notion de service et sa généalogie, de la domesticité au « care »,  passionne Geneviève Fraisse, philosophe féministe, autrice d’un essai intitulé « Service ou servitude »…

« On ne peut pas isoler la question de la prostitution, ou du « travail du sexe ». Je plaide pour une pensée de la continuité. Il y a une continuité dans l’organisation sociale, une chaîne qu’on peut appeler patriarcale. Mary Wollstonecraft posait la question du mariage comme prostitution légale, Louise Michel disait la même chose : « L’une prend qui veut, l’autre, on la donne à qui veut ».

Comme, plus tard, Emma Goldman. Aujourd’hui, Carole Pateman, dans son texte fondamental, Le contrat sexuel[1], parle encore, dans son chapitre sur le mariage, de « prostitution universelle ». Le contrat sexuel, conservé sous le contrat social émancipateur sans être explicité, empêchait les femmes d’être propriétaires de leur personne.  Simplement, en deux cents ans, on est passé de la « propriété » à la « possession » du corps des femmes. Les femmes ont gagné l’indépendance de leur corps mais sont toujours soumises à sa préemption occasionnelle.

Annonce

A lire également : Le consentement au coeur des débats

Metoo, ce pourrait être l’abolition des privilèges, dit Geneviève Fraisse

Les progrès sont là, par exemple la reconnaissance du viol conjugal, mais on voit ce qu’il en est de cette possession avec les révélations sur les violences des hommes de pouvoir par exemple. Sur la question du « service » en général, et du « service sexuel » en particulier, je poserai une seule question. Où est l’égalité ? Les femmes ont gagné en indépendance, mais l’inégalité est partout.

Il y a une violence sociale et une violence des emplois de service, qu’on essaie aujourd’hui de neutraliser. Il faut récupérer le corps des femmes. Avec Metoo, ce corps des femmes, qui était à la cave, remonte au grand jour. Le mouvement met en pratique ce que dit Carole Pateman sur le contrat sexuel. C’est un très grand moment, une révolution même. Ce pourrait être l’abolition des privilèges ».

Propos recueillis par Claudine Legardinier

Dans « Le soin, le sale, le service » dans Par ici la sortie ! n.1 (Seuil, 2020; repris dans Service ou servitude, essai sur les femmes toutes mains, (1979) Points Seuil 2021), Geneviève Fraisse disait également ceci

« Revenons en arrière : l’espace familial, domestique, fut le creuset ancien de notre imaginaire récent ; service va avec « servante » et « serviteur », autre nom du, ou de la, domestique. Pour le dire vite, ce mot désigne alors la dépendance, on servait le roi comme on sert le bourgeois, ce mot est le signe d’une hiérarchie sociale, d’une part, d’une infériorité de condition, d’autre part. Cela s’appelle l’inégalité. »

Retrouvez toutes nos interviews dans le cadre de notre campagne « Ni un travail, ni du sexe ». 

[1]  The sexual contract, 1988. Traduction française, 2010.