Ambre a commencé à subir viols, chantage et harcèlement à 14 ans. Un chemin qui l’a menée à rencontrer un proxénète à 14 et 20 ans, puis à s’inscrire sur un site «d’escortes» », tout en découvrant en parallèle l’abolitionnisme.
Aujourd’hui étudiante en philosophie et professeure de danse orientale, Ambre livre un témoignage bouleversant et décrypte magistralement son expérience. Elle ouvrira en mai la saison 2 de La Vie en Rouge.
Je considère qu’avant 14 ans, j’ai eu une enfance heureuse, avec des parents présents.
J’ai parfois du mal à comprendre que ça ait si mal tourné… mais une enfance heureuse n’est pas un alibi pour toute la vie !
En CM2, il y a eu des signes avant-coureurs. Un garçon de ma classe est déjà bien misogyne avec les filles, sexualisant et rabaissant. Il nous classait selon nos physiques. Nous étions toutes un peu « amoureuses ». Moi, je jouais le jeu. J’avais dix ans. Il m’avait dit « toi, plus tard, tu seras une vraie salope ». Ça m’avait beaucoup affectée.
J’ai très vite adopté les codes de la féminité. Je me suis maquillée vers onze ans, j’ai commencé à porter des petits talons.
À douze ans, je me suis retrouvée à parler sur MSN avec un garçon de 25 ans. Il m’a demandé des photos en sous-vêtements. Avec une amie, on l’a fait. On attendait ses retours, louangeurs, comme la parole de Dieu. On ne réalisait pas qu’à 25 ans, c’est grave de demander ça à des petites filles, c’est pédocriminel.
Ensuite, mes parents se sont séparés un an et ça a été vraiment très dur pour moi. Je me sexualise encore davantage au collège. À la fin de l’année, j’apprends que mes parents se remettent ensemble et qu’on déménagera, un an plus tard, dans une autre région. Une catastrophe. Je commence ma troisième avec le poids de ce déménagement à venir. Je juge mon père responsable, égoïste.
À l’époque, on ne discutait pas des risques à la maison.
Mes parents me voyaient maquillée, avec des talons, étaient un peu mal à l’aise, mais c’est tout. Plus tard, ma mère m’a dit qu’elle ne voyait pas le mal, pour elle, c’était ma liberté.
L’année de mes 14 ans, tout a basculé
Il y a encore beaucoup de choses que je ne comprends pas, malgré mes thérapies, malgré tout le travail effectué. La personne qui a vécu cette année-là est comme une étrangère qui me poursuit en permanence, qui me hante. Mais maintenant, j’arrive à en parler.
Je suis en troisième. Un jour, un garçon vient me voir, je lui donne mon numéro. Mes souvenirs sont assez épars. La deuxième fois qu’on se voit, il m’emmène dans une forêt et me demande une fellation. Il y a de ma part ingénuité, curiosité, mais ce n’est pas moi qui décide et je ne vois aucune possibilité de dire non.
Après, il me dit que cinq de ses amis étaient cachés autour. Les garçons m’envoient des messages. Je n’ai pas du tout les armes pour répondre à cinq, six, sept garçons qui viennent me demander des rapports sexuels. Commence alors une espèce de cercle vicieux au collège où ma réputation de « pute » monte. Je suis complètement dépassée.
J’ai pris le pli, « ok, ce que je dois absolument être, c’est ce qu’ils attendent de moi ». Mon numéro commence à tourner partout. Il paraît qu’il était écrit sur les murs du quartier – je ne saurai jamais si c’était vrai. Des hommes plus vieux me contactent. Je ne saisis pas que je m’engage dans quelque chose de glauque et sinistre, des bâtiments, des caves, des forêts. J’accepte systématiquement.
C’est comme si dire non n’était même pas une option. Les rares fois où j’essayais, ils me répondaient « tu es méchante, tu as dit oui à l’autre. Tu sais, c’est la liberté, c’est le sexe, c’est pas grave ». Cela m’horrifie quand jerepense à ces adolescents qui étaient déjà dans des mécanismes agresseurs.
J’ai laissé toute une partie de ma personne derrière moi.
Petite, les gens me disaient que j’avais mon caractère. Tout a été écrasé à ce moment-là. Ça m’a détruite.

Chantage
Un jour, des garçons de ma classe, que je voyais plus ou moins comme des copains, me volent mon téléphone et me le rendent sans carte mémoire. Il y avait toutes mes photos auxquelles je tenais beaucoup, et aussi des photos « compromettantes ».
Quatre, cinq garçons commencent à me faire du chantage. Si tu n’acceptes pas nos demandes, on va publier tes photos sur les réseaux sociaux. C’est le tout début de Facebook. La violence est alors tellement installée, je ne vois même pas le problème.
Je m’exécute.
Ce qui se passe avec deux d’entre eux est filmé. Ils s’en vantent dans le collège. Je suis convoquée par la CPE (conseillère principale d’éducation). Je ne veux surtout pas que les adultes soient au courant. J’ai tellement peur d’être vue comme la coupable, que je verrouille le secret. Les adultes me disent que c’est grave et appellent mes parents. Je pense : « c’est l’horreur, je vais mourir ».
Ma mère est convoquée. Elle me dit « mais tu l’aimais, ce garçon ? » Elle ne comprend pas du tout que j’ai une réputation, que j’ai déjà eu des rapports que je ne voulais pas avec des hommes.
En rentrant, dans la voiture, je me mets à rire nerveuse- ment. Je ne peux pas m’arrêter, c’est horrible. Ma mère me dit : « tu sais qu’il y a des générations de femmes qui se sont battues pour qu’on ne fasse pas des trucs comme ça ! ». J’ai l’impression que c’est moi la coupable. Jusqu’aujourd’hui, je ne sais pas exactement de quoi elle est au courant.
Mes parents décident de porter plainte pour viol contre ces deux garçons, puisque ça a été filmé. L’un d’eux était dans ma classe. La CPE me demande si je veux changer de classe. Je le vis très mal, donc je dis non. Le garçon, on ne lui a pas demandé, à ma connaissance. Je le vois au commissariat, et ensuite en classe.
J’entends mon avocat s’agiter à côté de moi. Je suis très dissociée, tout ça n’a aucun sens. Pourquoi ça c’est grave et pas le reste de ce que je vis ?
Je tombe amoureuse de N., que je vais revoir des années après et qui est déjà un peu mon proxénète. Lui ne veut pas sortir avec moi « pour de vrai » parce que j’ai une réputation. Je vis dans l’espoir de vivre un jour une histoire d’amour avec lui.
Il me demande de « faire avec ses copains qui n’ont jamais fait, dans les bâtiments, les caves… » Il me dit « tu es ma pute ». Il me fait subir de grosses humiliations devant les autres. On est dans un couloir et il me dit « allez Ambre, ouvre les jambes ». Je m’exécute en riant. Je suis comme un pantin. Une fois, il réunit des petits de sixième et dit « alors qui veut se la faire », devant moi. À l’époque, je ris beaucoup. Les gens me croient folle…
Ambre : Je disais que j’étais une pute
À la fin de l’année, un garçon, harceleur mais bien vu des profs, m’attrape par le cou et me dit : « Nous, on a de la chance, on n’a pas besoin de violer, on a Ambre ». Il m’a fallu du temps pour me redire cette phrase terrible qui me fait penser : « Moi, je n’ai tellement pas la capacité de dire non que les mecs se disent “c’est open bar” ».
Je rencontre aussi des hommes plus vieux avec qui il y a des rapports. Quand des hommes que je ne connais pas me sollicitent, j’ai très peur. J’ai aussi des propositions de prostitution, mais là je réussis à dire non.
J’ai tellement « joué le jeu » ! Il n’y avait pas d’échange d’argent mais j’étais déjà dans cette relation où on me demande donc je m’exécute. J’étais en stress intense et dissociée en permanence. Je disais en riant, « moi je suis une pute heureuse ». Les gens étaient choqués.
C’était un appel à l’aide, que personne n’a entendu. Un jour, je suis dans une cave avec un garçon plus vieux qui a une réputation de tombeur – plutôt violeur – et un autre gars. La police arrive, ils ont du chit sur eux. On est emmenés au commissariat. Je suis privée de sortie un mois.
Ce que mes parents ont vu, c’est la partie émergée. Ils n’ont pas su que mon année a été rythmée par les violences, les viols, les manipulations. Ils ont juste porté plainte et sont allés me chercher un jour au commissariat. Ils n’ont rien compris.
Violences et pornographie
Le déménagement vient mettre un stop bénéfique pour moi. Mais je continue à voir N. – dont je suis à ce moment-là vraiment amoureuse – aux vacances, quand je retourne dans ma ville d’origine.
Lui joue avec moi, me fait rêver que « peut-être un jour on sera ensemble » mais les rapports avec lui sont très violents. Il est imbibé de pornographie, m’impose des pratiques, me filme, sans que j’aie jamais su ce qu’il faisait des vidéos.
À P., je change du tout au tout, je porte un jogging et un gros sweat. Je ne veux plus que les hommes me regardent, je ne veux plus exister pour eux. En revanche, quand je retourne dans ma ville, je remets des talons parce que je dois plaire à N.
J’ai une amie à P., qui m’a toujours dit qu’elle n’en revenait pas : « tu m’as tout de suite parlé de ce qui t’arrivait, en riant, en disant « moi, je suis une pute ». Ça l’avait beaucoup choquée.
La dégringolade pour Ambre
Je suis passée du rire au silence complet. Je voulais emporter ça dans la tombe, ne plus jamais en parler à personne. Commence alors la dégringolade de ma santé mentale. J’avais vu une psychologue avant de déménager, je devais reprendre un suivi, mais moi je ne voulais parler qu’à elle.
Je me mets en couple avec un autre gars de ma ville, amoureux de moi. Je l’ai toujours admiré, parce que tout le monde lui disait « tu sors avec une pute » et lui disait « je m’en fous ». Je le vois comme une protection, qui me donne une raison de dire non aux autres. On reste ensemble cinq ans, il assiste à ma descente aux enfers. Les gens disent « Ambre, elle a changé, ça se tasse, elle est mariable ».
Petit à petit, je réalise ce que j’ai vécu. Je ne peux plus avoir de rapports sexuels avec mon copain, je me mets à pleurer à chaque fois. Je suis terrifiée de voir un homme bienveillant, qui ne me force pas.
Le mur
Après le bac, j’intègre hypokhâgne puis khâgne, et je reviens en région parisienne. Le rythme est difficile, ma santé mentale s’aggrave, même si le cadre de la prépa me contient. Je commence à me scarifier. Fin de prépa, mon père quitte ma mère. Elle est dévastée, entre en grosse dépression.
J’entre en fac, et là, je me prends le mur.
J’ai des « épisodes psychotiques ». Est-ce du post-trauma ? J’ai des idées bizarres, des sensations corporelles horribles. J’ai l’impression que mes organes pourrissent, que je suis déjà morte. Je commence un suivi psychiatrique soutenu, avec ma mère qui s’écroule à côté.
Avec les soins, arrive la souffrance des violences subies. Avant, je ne la ressentais pas. C’est comme après le réveil d’une anesthésie, ou quand on se fait très mal, on ne sent pas la douleur tout de suite.
Au début de mon parcours psychiatrique, je suis incapable de parler de mes quatorze ans. Je ne le dis pas aux psychiatres, quand je suis hospitalisée une première fois après une tentative de suicide. Mais, on ne me pose pas la question non plus.
Je passe deux mois à l’hôpital, après quoi N. me recontacte.
J’ai 19 ans, je suis trop contente, je me dis « enfin on va pouvoir vivre notre histoire ». Après le premier rapport avec N., je suis dévastée. Dans mon carnet, je me demande d’où lui vient une telle violence.
C’est tellement délétère pour ma santé mentale. Mais je crois gérer. On se voit toutes les semaines. Je lui paie son essence, lui donne de grosses sommes d’argent. Les rapports sexuels sont toujours plus violents, toujours filmés, dans sa voiture. Je ne sais pas ce qu’il a fait des vidéos.
Je me retrouve comme à 14 ans, incapable de dire non. Chaque semaine, les mêmes insultes, les mêmes gestes, jusqu’à la nausée. J’essaie alors de dire que je veux que ça s’arrête. Il me répond « je sais qu’au fond de toi, tu le veux. Dans la vie, je te respecte, mais au lit, t’es une vraie pute, je le sais ». À chaque fois, j’écris : « Ce soir je dis non », et je n’y arrive pas. Quand je dis non, il me met la main sur le cou, ça devient violent physiquement et après il me dit « et alors, on voulait pas hein ? ».
Soirée d’horreur pour Ambre
Son fantasme, quand il est dans un état d’excitation sadique, c’est « tu veux que je te fasse baiser par d’autres hommes, t’es ma pute ». Jusqu’à une soirée d’horreur. J’accepte de le voir avec un pote à lui dans un appartement éloigné. Au début, il n’y a qu’un homme, qui se présente comme acteur porno. J’ai pris beaucoup de Xanax ce soir-là pour réussir à y aller.
J’ai un rapport sexuel avec lui devant N. qui me filme. C’est un moment de pure destruction. Jusque là, N. me plaignait pour ce que j’avais vécu au collège et là, il reproduit la même chose, en disant : « Ne t’inquiète pas, elle fait ça très bien, depuis qu’elle a 14 ans, elle est formée ». Le voir me filmer, rire alors que je suis en train de vivre un calvaire, c’est trop.
Ensuite, je suis en sous-vêtements, ils me poussent sur le balcon pour dire bonjour à trois ou quatre garçons qui arrivent. J’ai des rapports avec chacun d’entre eux. Je demande à N. de rester avec moi, il est mon seul ancrage. Là je sens le dégoût dans son regard, qu’il me considère vraiment comme une merde. Les rapports – des viols, avec tous ces hommes, sont non protégés. Un gars me fait la misère. C’est super violent.
En repartant en voiture, mes digues sautent. Je me mets à hurler et ça rend N. fou. Il me fait sortir de la voiture, il me dit « j’aurais jamais dû t’amener là-bas, je pensais que t’aurais été capable ». Je pense qu’il a été payé. Il me hurle dessus, me dit qu’il ne m’aimera jamais. C’est horrible à entendre, mais au moins je l’entends. Puis il me prend dans ses bras.
C’est la dernière fois que je l’ai vu.
Il me laisse à deux rues de chez moi, je veux me suicider. J’appelle ma psychologue, qui ne répond pas, il est 7 h du matin. Je vais vers le pont. Je croise la police qui me demande si ça va, je dis non, je me suis disputée avec mon copain. J’ai des mouvements convulsifs, ils appellent les pompiers, qui m’amènent aux urgences.
Plus rien n’avait d’importance, je n’avais rien à perdre.
Enfin un discours qui me parle
Quand j’ai découvert sur les réseaux sociaux l’abolitionnisme, je me suis dit « enfin un discours qui me parle », et qui vient expliquer en partie ce que j’ai vécu à quatorze ans. J’écoute beaucoup, je regarde, je « mange » des témoignages. Je me sens moins seule. C’est peu de temps avant la soirée d’horreur. Ça participe aussi de ma progressive envie de dire non à N.
Je me rends compte que les mécanismes que j’ai vécus sont comparables à tant d’histoires de femmes violentées.
Je découvre avec beaucoup d’enthousiasme et de soulagement cet univers, mais je me sens détruite et me dis que ce n’est pas réparable. J’ai un traitement lourd avec des antidépresseurs et un neuroleptique assez fort.
À l’époque, je comprends aussi que N. était proxénète et ça me déchire le cœur. Faire le lien entre ma situation et ce que j’ai compris de la prostitution, surtout concernant N., que j’ai dit aimer pendant toutes ces années est très douloureux. J’étais sous emprise.
Après le jour noir, il m’a appelée une dernière fois, puis ne m’a plus contactée. Je crois qu’il a peur.
Une voie toute tracée
Quand je vois que je suis à découvert, la voie est toute tracée vers la prostitution. C’est le chemin qu’on m’a invitée à prendre. Je ne sais plus quand je me suis inscrite sur un site «d’escorte », c’est confus pour moi. Mais ça a été horrible, là encore.
Je rencontre alors un homme que j’avais déjà connu à 14 ans – encore un ! Je n’ai pas de prise sur la relation, je m’absente des rapports sexuels, je déconnecte. Je lui demande de me payer, il accepte, me paie de façon dérisoire, 20 euros par-ci par-là. Je me dis que je ne vais jamais m’en sortir. Comme à 14 ans, je n’ai pas la force de lui dire va-t’en maintenant. Comme s’il m’écrasait.
En plus, j’étais dans le milieu militant, j’avais deux vies. Il y avait deux Ambre. Je perdais ma lucidité dans ma souffrance, dans ma peur aussi, de ne plus avoir d’argent. Je ne me sentais pas capable de travailler.
J’ai rencontré quelques autres hommes via les sites d’« escortes ». À chaque fois je mettais une semaine, deux semaines à m’en remettre tellement c’était violent.
Tous les hommes, les clients et les autres, me disaient au lit : « tu aimes qu’on te frappe, être insultée, tu es une pute quoi ». Ma sexualité a commencé dans la violence et les trucs glauques. Je n’ai jamais pensé à mon désir.
Si j’avais eu accès à quatorze ans au discours pro-travail du sexe, je l’aurais fait mien. D’ailleurs c’était mon discours. Mais c’étaient les hommes qui me faisaient dire ça. C’est le discours des agresseurs, proxénètes et « clients », renversé et réutilisé par les victimes.
J’ai porté plainte contre l’autre homme, celui que je faisais payer. Je ne voulais plus le voir, il est devenu menaçant.
Il ne me donnait rien mais obtenait quand même ce qu’il voulait. Un jour, il me dit : « une dernière fois et je te file l’argent ». C’est la fois de trop.
Je lui ai dit non et il n’a pas supporté. Il m’a forcée à une fellation et j’ai dû courir dans tout l’appartement pour lui échapper. Il est parti. J’ai réussi à mettre une barrière corporelle. Ça m’a fait beaucoup de bien de voir que j’en étais capable.
C’était en octobre 2023. J’ai réalisé que c’était un viol. J’avais
toujours eu du mal à le reconnaître. Mais là j’avais dit non plusieurs fois, c’était plus concret, il y avait eu coercition physique, là où d’habitude c’était de l’in- sistance, et moi, j’avais tellement mal que je finissais par céder.
Alors un soir, j’ai eu une immense angoisse. Je me suis dit : cet homme va continuer. Je suis allée porter plainte à 23 heures en sortant de mon cours de danse, de façon totalement compulsive. Aujourd’hui, ça a été classé sans suite, mais je l’ai fait. Pour le cas où ça aiderait d’autres filles.
Mourir de l’intérieur
Les clients du site d’« escortes » ? Je me rappelle un qui avait bu, fumé, et qui a régressé. Il s’est mis à me supplier de ne pas partir, il m’a enfermée, j’avais mes règles, il y avait du sang partout, je m’enfuis, il me poursuit au téléphone… Et j’y retourne. C’est horrible de retour- ner là où on sait qu’on va mourir de l’intérieur.
J’ai fini par supprimer ce profil avec l’aide de ma psychologue. Mais la prostitution, c’est comme une menace qui pèse toujours sur moi, une ombre qui plane.
Avec mon vécu de viols à 14 ans, je me suis beaucoup iden- tifiée aux survivantes de prostitution. La même consommation, la même manière d’être un objet, un corps, des orifices à disposition. Argent ou pas, la seule différence c’est que l’argent donne une arme supplémentaire, pour la contrainte, le chantage.
J’ai toujours été dans l’artistique. J’ai beaucoup dessiné. J’ai joué du piano. C’étaient des sources inestimables de consolation. À 14 ans, j’écrivais des chansons. Ensuite, la danse m’a énormément soutenue, m’a permis de voir mon corps autrement.
Je voudrais juste subvenir à mes besoins d’une façon qui ne me mette pas en danger, mais me mette en valeur et me fasse exister, d’une façon saine et belle. Pouvoir payer mon loyer, mes courses, avec l’argent d’une chose dont je sois fière et qui ne me fait pas mal.
Mes rêves ?
J’aimerais beaucoup produire des spectacles de danse. Sur un plan plus personnel, ma démarche en témoignant ici est très forte. C’est la première fois que je raconte toute mon histoire en continu. Ça me pousse à essayer de la dompter, d’en être maîtresse, après qu’elle est restée si longtemps silencieuse, douloureuse, intrinsèquement tordue et difficile.
Parler, c’est vraiment fort.
Ambre sera donc la première à intervenir dans la saison 2 de La Vie en Rouge, qui doit sortir le 13 mai. En attendant, vous pouvez réécouter la saison 1 ici : https://smartlink.ausha.co/la-vie-en-rouge/
Vous pouvez également soutenir la fabrication de cette saison 2 et la parole des survivantes en faisant un don ici : collecte pour La Vie en Rouge