S’il existe une polémique à l’égard de la prostitution et des personnes prostituées et un relatif consensus sur le proxénète comme figure criminelle, le silence sur le « client », lui, reste quasi-total. Celui-ci a pourtant un rôle essentiel dans le rapport prostitutionnel. Saïd Bouamama, sociologue, a coordonné pour le Mouvement du Nid cette recherche fondée sur 95 entretiens qualitatifs avec des « clients » , qui nous éclaire sur l’identité et les motivations de cet acteur de l’ombre…
L’analyse de 95 entretiens réalisés avec des hommes « clients de la prostitution » fait ressortir un ensemble de facteurs individuels classiquement utilisés, par les clients comme par « l’opinion publique », pour expliquer le clientélisme prostitutionnel.
Ces facteurs individuels entraînent généralement une conclusion commune à la plupart des hommes interrogés : celle de l’utilité sociale de la prostitution. Et ceci malgré le constat, également partagé par la plupart d’entre eux, d’une relative insatisfaction, tant relationnelle que sexuelle, attachée au rapport prostitutionnel.
Cette analyse individuelle occulte trop souvent les mécanismes sociaux à l’œuvre dans le clientélisme.
À l’interface du psychologique et du social, l’originalité de cette première recherche française sur les clients de la prostitution, est d’introduire, au-delà d’une dimension descriptive du comportement clientéliste, une nécessaire réflexion sur les modes de socialisation sexués et d’apprentissage sexuel.
En effet, les inégalités sociales entre hommes et femmes restent encore de nos jours trop souvent expliquées par la « nature », notamment en matière de sexualité.
À l’issue de ce travail de recherche, le clientélisme prostitutionnel apparaît bien comme le résultat d’un modèle de sexualité inégalitaire. En effet, la plupart des hommes y ayant recours (le plus souvent mariés ou vivant en couple) voient dans la prostitution la seule alternative possible à un déséquilibre hommes-femmes, dit « naturel », face à la sexualité.
Ce déséquilibre est en fait artificiel, puisqu’il repose sur une conception de la sexualité masculine animée par des besoins irrépressibles, et de la sexualité féminine duelle, inexistante ou au contraire, toujours inassouvie ; une conception archaïque, qu’aucun travail scientifique n’a jamais justifiée.
L’analyse du clientélisme prostitutionnel comme résultant de modes de socialisation inégalitaires montre que les progrès en matière d’émancipation des femmes n’ont pas encore atteint le niveau le plus profond de la compréhension des rapports entre les sexes.
Dans ce cadre, la prévention du clientélisme prostitutionnel s’inscrit non seulement dans une politique de lutte contre les violences faites aux femmes, mais aussi dans une démarche plus large, visant à construire des rapports hommes-femmes plus égalitaires, affranchis de normes sociales et culturelles les limitant trop souvent à des rapports de force et de domination, même masqués.
Image : ©Christine Stark, survivante de la prostitution, écrivaine.