Procès du Carlton : «Sortir de la prostitution, c’est sortir d’un tombeau»

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Bernard Lemettre, délégué régional du Mouvement du Nid, a été invité ce jeudi à s’exprimer sur la difficile sortie de la prostitution pour les parties civiles du procès dit «du Carlton», qui se déroule depuis le 2 février au tribunal correctionnel de Lille (Nord). Un moment d’humanité, selon Me Henri Leclerc, l’un des avocats de Dominique Strauss-Kahn.

Selon le délégué régional du Mouvement du Nid, Bernard Lemettre, les prostituées valorisent ce qu’elles font et disent: J’ai choisi, je suis heureuse. Mais, précise-t-il, derrière ce « j’ai choisi », il y a quelqu’un qui pleure.

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L’homme pose sa silhouette aux cheveux blancs, chaque jour, depuis l’ouverture du procès de l’affaire du Carlton le 2 février, sur les bancs des parties civiles.

Le cri de colère de «Jade», ex-prostituée

Et c’est à ses côtés, rassurées par sa présence bienveillante, que viennent se serrer Jade, Mounia et les autres ex-escorts parties civiles. Ces femmes, le délégué régional de l’association du Mouvement du Nid, Bernard Lemettre, 78 ans, les accompagne au quotidien dans leur parcours de sortie de la prostitution – pour Jade depuis trois ans – et à chacune des audiences depuis deux semaines. Ce jeudi, en fin de matinée, il a été invité par le président du tribunal à s’exprimer à la barre. La parole forte d’un militant abolitionniste et d’un humaniste.

«Une mort sociale»

Bernard Lemettre a découvert dès sa jeunesse, au Brésil, que ce que des femmes prostituées pouvaient endurer. Engagé depuis quarante ans à Lille au sein de l’association du Nid, ce retraité depuis 1998, toujours très actif, reste un homme de terrain. Je suis assez passionné parce que j’ai le sentiment profond que la prostitution est une atteinte à la dignité humaine et que la société doit s’en débarrasser. Alors je sais, c’est un rêve, mais j’ai l’espoir qu’il devienne une réalité.

Et de montrer celles qu’il soutient dans ce procès hors-norme : Ces quatre personnes, qui sont là, je ne les ai pas rencontrées en même temps. La première, c’est Jade, c’était le 3 novembre 2011. Elle est venue me voir en me disant: « Je veux sortir de la prostitution ». Il souligne: Sortir de la prostitution, c’est comme sortir d’un tombeau, d’une non-existence, d’une vie où l’on est désigné par des mots difficiles à prononcer, comme « pute ». C’est aussi accepter ce qui a précédé la prostitution, ce qui vous a fait happer par le système.

Pour lui qui a accompagné tant de ces moments de vies explique: Mon expérience, c’est que personne n’arrive dans la prostitution comme ça. Il y a toujours une fragilité, une ou des rencontres, qui vont piéger la personne dans ce système qui est une mort sociale, un monde de violences.

Bernard Lemettre distingue trois discours de la prostitution. D’abord, celui qu’on tient quand on est dedans. On valorise, sinon comment exister? Alors on dit: « J’ai choisi, je suis heureuse. » Derrière ce « j’ai choisi », il y a quelqu’un qui ne le dira pas tout de suite mais qui pleure. Après, poursuit-il, il y a la personne qui a un déclic, avec déjà un regard vers l’avenir, car dans la prostitution il n’y a pas de lendemain. Enfin, celui des personnes qui ont quitté la prostitution, un discours de souffrance, car elles n’oublieront jamais, elles devront vivre avec la douleur d’avoir eu un corps pénétré, un corps qui ne leur a plus appartenu. Mais qui ont, dit-il, franchi ce cap de la liberté.

«Honte globale», même pour les prévenus

Mon sentiment profond depuis le début est qu’il y a, dans cette salle, un sentiment de honte globale, assène Bernard Lemettre. Bien sùr des parties civiles, que j’accompagne, mais aussi des personnes traduites devant ce tribunal même s’ils ont beaucoup de mal à le dire. La honte, c’est aussi le sentiment de ceux qui disent « je ne voulais pas savoir ». Ils révèlent aussi que la prostitution, et la traite des êtres humains qui l’accompagne, met en danger l’individu, la famille, la communauté. Il souligne: Tous les acteurs, à des niveaux différents, sont atteints dans leur être, dans leur vie.

Ce «sage», comme l’a baptisé Jade, qui le rencontre tous les quinze jours depuis trois ans, et qu’il a aidée à annoncer ce qu’elle vivait à ses enfants, ce vieux militant dont on perçoit la bonté, le croit: Ce procès va faire partie d’une étape, comme un élément important pour que l’on arrête de dire que la prostitution est un mal nécessaire, qu’elle serait « le plus vieux métier du monde », que des femmes ont choisi de faire ça, ou qu’elle est indispensable pour les hommes.

Quand la parole se libère

Au président Lemaire, qui lui demande de préciser ce travail d’accompagnement, Bernard Lemettre précisera: En 2014, nous avons suivi 240 personnes, et accompagné une trentaine de plaintes. Nous partons toujours des personnes.

Parmi elles figurent nombre de femmes françaises s’étant prostituées en Belgique, et nombre d’Africaines du Nigeria, prises en charge après l’arrestation de réseaux. Le délégué du Nid souligne: Il n’y a pas de solution à l’avance, c’est un travail à long terme. Il faut que la personne réhabite son corps, surmonte les conséquences traumatiques. Elles reconnaissent en nous un non-jugement, une disponibilité.

Il insiste, citant l’exemple des nigérianes, pour qui il faut parfois 150 entretiens d’une heure trente pour qu’elles parviennent à donner leur véritable identité: C’est un passage qui dure parfois très longtemps. On n’est pas des magiciens, on essaie de rester à notre place. Il faut, parfois trois ou quatre ans pour que la parole se libère. Mais quand la parole se libère, l’être se libère. Le moyen, c’est la parole, et elle est puissante.