C’est l’histoire d’un duel, d’une guerre. Une guerre entre deux femmes, froide, feutrée, pour les beaux yeux d’un homme. Banal, dira-t-on. Les armes, pourtant, ne le sont pas.
Les armes ? Des lèvres refaites, des seins aux silicones ; un peu de réussite professionnelle pour faire bonne mesure. On est chez les bobos du Québec, jeunes, beaux et qui gravitent dans la mode et les médias. De l’alcool, beaucoup, de la coke, un peu, et du sexe énormément.
C’est une histoire d’images. Celles que Charles embellit sur son ordinateur — il est photographe de mode —, des contours lisses de chair féminine dans leur emballage de vêtements ; celles qui envahissent les murs et les magazines et modèlent patiemment les visages et silhouettes de rigueur ; celles qui prennent possession de femmes comme Rose et Julie, les héroïnes, possession au sens de possédées du diable
.
Complices et rivales, elles disposent de regards affùtés comme des poignards, excellent à repérer sur l’autre la bouche refaite et les seins fabriqués par le chirurgien.
Leur seul horizon : être un objet sexuel convoité. L’amour, au milieu de cette guerre des images, n’a plus droit qu’à la portion congrue.
C’est une histoire de compétition. Pour reconquérir son amant amateur de sites porno et tombé k.o suite à l’offensive de Julie, Rose va aller au bout de la logique. Et se faire remodeler selon la norme en vigueur : après la bouche et les seins, le saint des saints, le sexe lui-même, sur le modèle qui crève désormais les écrans.
C’est une histoire qui fait frémir. Une radiographie de l’aliénation en marche, voulue, revendiquée ; d’un monde où le réel est liquidé pour un virtuel inatteignable ; où les rapports entre les êtres, entre les hommes et les femmes, sont plus faux, plus cassés que jamais. Où ils deviennent impossibles.
L’auteure, Nelly Arcan, y déploie toute son ambiguïté : dénonciatrice et elle-même victime consentante de ces diktats avec sa blondeur parfaite et son recours au bistouri ; comme Julie, son personnage, qui vit une obsession esthétique mais la compare à une burqa occidentale
et avance sa théorie de la femme-vulve, qui n’est plus qu’un sexe.
Après Putain, récit-fleuve de son passé de prostituée, et Folle, également autobiographique, À ciel ouvert est le premier roman de Nelly Arcan. On en sort avec un mélange de malaise et d’accablement. Fallait-il donc tant lutter pour aboutir à cette obéissance sans précédent à ce qui n’est même plus le regard masculin, mais une escalade folle et solitaire vers la perdition ?