Elles

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Dans la pléiade de films récents sur la prostitution, Elles sort du lot. Sa réalisation y est pour beaucoup, frontale, froide sans être clinique. Sa première partie est assez intéressante, la deuxième est plus contestable, retournant à un discours assez convenu, comme pour s’excuser de sa prime audace.

Les premières secondes du film nous montrent un homme en train de jouir dans la pénombre, plus masque de souffrance qu’extase. On imagine, vu le propos du film, que celle qui lui fait une fellation est une prostituée, mais on ne fait que la deviner.

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La première partie du film nous raconte comment Anne, journaliste presque quinquagénaire travaillant pour le magazine Elle, approche le monde des « escort girls » pour un article portant sur la prostitution étudiante. Elle fait la connaissance de deux jeunes parisiennes, Charlotte et Alicja, et les interroge sur leur double vie.

Le film, qui repose alors sur une matière documentaire, montre deux étudiantes crédibles. Leur caractérisation est bien construite. Pour l’une comme pour l’autre, la prostitution est un moyen de sortir de sa condition sociale. Charlotte vient de l’autre côté du périphérique, des HLM dont « l’odeur lui colle à la peau » et la dégoûte. Alicja arrive d’une Pologne qu’elle évoque à demi-mot comme une prison à ciel ouvert.

Se prostituer par l’intermédiaire d’annonces sur Internet (sans proxénète) est aussi pour elles un moyen d’accéder à des biens de consommation dont elles ne veulent pas se priver et qui leur permet une certaine intégration.

Les passes sont décrites sans fioritures. En appartement ou dans des hôtels, elles alternent entre le simulacre des jeux amoureux et la violence de l’acheteur sur sa marchandise. Les rapports sont décrits comme un en-dehors de la sexualité normale. Le dérapage n’est pas un accident, il est consubstantiel à la passe, inscrit dans son ADN.

Le regard que porte la journaliste sur les deux jeunes femmes est lui aussi réaliste. Juliette Binoche incarne à la perfection la féministe germanopratine fascinée par “le plus vieux métier du monde“. Eblouie par Charlotte et Alicja, elle perd toute distance avec son sujet tellement elle voit en elles l’incarnation d’une libération de « la femme ». Elle est la maman débordée qui se rêve putain.

Jusque-là, le long-métrage tient sa logique, qui peut susciter le débat mais a le mérite de la sincérité. La suite hélas ne tient pas ses promesses. Les deux prostituées disparaissent progressivement du champ, au seul profit de la journaliste. Les clients finissent par ressembler à un catalogue de la masculinité en errance : le mari qui s’ennuie, le pervers à jolie chemise, le dépressif en larmes…

Anne est rendue à ses problèmes « quotidiens » et à ses contradictions. Elle achète bio mais jette ses mégots par la fenêtre (c’est mal !). Elle se masturbe sur le tapis de la salle de bains (elle s’émancipe !). Elle se brùle en faisant la cuisine (un symbole ?). Elle se saoule avec Alicja, danse avec elle et finit par l’embrasser. Et scène finale grotesque, au milieu du repas qu’elle prépare depuis le générique, Anne s’imagine poussant la chansonnette avec tous les clients des deux prostituées qu’elle a rencontrées.

Un film de plus raté, ce n’est pas si grave. Mais Elles interroge quant au discours qu’il tient sur la prostitution. Pourquoi faire taire les deux jeunes femmes au moment où il aurait été légitime qu’elles évoquent leur rapport aux hommes et les raisons plus profondes qui les amènent à se prostituer ? Quelles vérités sont donc si difficiles à dire et à faire dire ?

Jolies étudiantes décomplexées, elles peuvent faire partie du récit. Jeunes femmes en souffrance, elles n’y auraient pas leur place… Il n’y a donc pas que les machos phallocrates pour renvoyer les prostituées au rang d’utilités.