Les compagnes de la nuit

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Ce film français du réalisateur Ralf Habib a marqué une nouvelle manière de présenter la prostitution en France et reste un témoignage concret de la réalité quelques années après la fermeture des maisons closes (1946).

Sans tomber dans un sentimentalisme exacerbé, le film décrit un monde sans issue, une organisation de la prostitution et des complicités qui font frémir, une condition glaciale de la femme qu’on prostitue, avec les rafles policières, le fichage sanitaire, la violence du proxénète, la maison de redressement pour les « filles-mères », le regard de condamnation de la société… Si la réalisation de ce film en noir et blanc reste classique et un peu démodée aujourd’hui, Les compagnes de la nuit a un bon scénario, d’excellents dialogues qui font souvent mouche.

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Il rassemble aussi une très bonne distribution : Raymond Pellegrin en souteneur manipulateur, Françoise Arnoult en fille-mère prostituée, Noël Roquefort, Pierre Mondy, Nicole Moury, Marthe Mercadier… tous ces grands acteurs de l’après-guerre donnent une vraie crédibilité aux évènements de cette histoire tellement habituelle : une jeune femme, « fille-mère » sortie d’une maison de redressement, se trouve prise à Paris dans l’engrenage d’une réseau de prostitution dont elle cherchera à se libérer.

Très souvent mise en scène dans le cinéma, la prostitution était jusqu’alors le reflet de la vision réglementariste de la France depuis des siècles : l’organisation en maisons closes et la légalisation du proxénétisme, les julots au grand cœur, le monde de la pègre, les filles de joie mais quand même des délinquantes… Les compagnes de la nuit est un film à l’opposé de cette traditionnelle présentation de la prostitution. Ralf Habib aborde de front pour la première fois en France ce qu’est réellement un proxénète et la triste existence des prostituées à travers un réalisme inédit dans la France des années 50.

Fait rare, le film démarre par un texte d’annonce pour préciser que pour lutter contre les fléaux les plus menaçants de la société, il ne pouvait y avoir de meilleur remède que de montrer le mal sous son véritable visage…Notre but est ici de servir la vérité… 

Et de conclure : Nous rendons un hommage particulier au foyer maternel Le Nid[« Le Nid », l’association d’origine, a été créée en février 1946 et deviendra en aoùt 1946 « L’Amicale du Nid ». En 1971, pour opérer une distinction entre activités salariées et militantes, une séparation amène la création du « [Mouvement du Nid« , qui est l’éditeur de ce site.]] dont l’œuvre constitue l’un des moyens les plus efficaces de lutter contre la prostitution….

La jeune revue du Nid, Moissons nouvelles (son titre en 1953) consacre une page entière à ce film à la préparation duquel l’association a collaboré. En 1964 le film sera diffusé à la télévision dans le cadre de la célèbre émission Les dossiers de l’écran suivi d’un débat avec notamment le fondateur du Nid, André Marie Talvas. Cette soirée fit à l’époque une très forte audience. Considéré comme un film vrai il servira à des soirées conférences avec le fondateur du Nid.

Plus de 60 ans après sa sortie on ne peut s’empêcher de faire le lien avec la vie des personnes prostituées d’aujourd’hui, les méthodes toujours en vigueur des proxénètes et des réseaux d’exploitation sexuelle et de traite : argent, séduction, manipulation, violence, chantage à l’enfant, emprise…

Un film pour mémoire et pour mieux comprendre la terrible histoire de la prostitution en France au moment où un projet de loi pour l’abolition de ce système est en débat à l’Assemblée nationale.