Traite : les non-dits d’un consensus

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Des journées, des colloques, des plateformes… sur la traite. La traite fait recette. ONG, associations, pour beaucoup d’entre elles, n’ont plus que ce mot à la bouche. Comme l’ensemble des instances européennes. Il faut lutter contre la traite : traite des êtres humains, traite des femmes, traite à des fins d’exploitation sexuelle… « La traite » a ainsi investi le droit international, portée par un large consensus.

Loin de nous l’idée de nous en désintéresser. On ne peut que condamner, c’est une évidence, le recrutement et l’acheminement par des réseaux de personnes destinées à finir sur les trottoirs, dans des bars ou des clubs, pour « l’exploitation sexuelle », ou dans des ateliers clandestins.

Mais ce beau consensus cache des arrière-pensées. Et l’invasion du concept de traite marque un revirement politique majeur dans la mesure où il signe, à bas bruit, la disparition de celui de prostitution et de proxénétisme. C’est bien là son but. Induire l’abandon, l’effacement des politiques abolitionnistes. Et promouvoir tranquillement la prostitution.

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Cette rupture historique, voulue par les Pays-Bas notamment, désireux d’ouvrir le marché des sexes et des corps afin d’en tirer bénéfice, remonte aux années 1990. Un lobbying efficace est parvenu à imposer la distinction entre « mauvaise traite » et « bonne prostitution ». Une rapide contagion internationale, avalisée par les instances européennes, a abouti à rayer des esprits et des textes la Convention de 1949, premier texte international à affirmer le lien indissociable entre traite et prostitution et à condamner le proxénétisme en tant qu’atteinte fondamentale aux droits humains, même en cas de consentement de la victime.

Insensiblement, la lutte contre la traite — et même la seule traite « forcée » — s’est ainsi substituée à la lutte contre le proxénétisme, laissant le champ libre aux proxénètes, promus « managers du sexe » par la société libérale et, avec eux, à tous les chantres du « travail sexuel » et de ses fabuleux profits.

Il est temps de le redire haut et fort. Traite et prostitution, comme le soulignait la Convention de 1949, sont indissociables. La traite s’inscrit dans la logique même du système prostitutionnel. Elle n’est qu’un canal destiné à l’alimenter. Ce n’est d’ailleurs pas une nouveauté. A-t-on oublié l’ampleur déjà internationale de la « traite des Blanches » à la fin du 19e siècle ? Et la dénonciation par la Société des Nations, dès 1927, de la responsabilité de la prostitution légale et des maisons closes dans l’expansion de la traite des femmes ?

Se limiter à la lutte contre la traite, c’est se contenter de dénoncer les formes extrêmes, « monstrueuses », de l’abus et de la violence, pour mieux occulter et légitimer l’abus et la violence « ordinaires » qui fondent le système prostitutionnel au quotidien. C’est se rassurer à bon compte en reportant sur « l’autre », « l’étranger » les atteintes aux droits humains en continuant d’ignorer celles qui nous entourent, ici et maintenant. C’est enfin emprunter un chemin absurde : comment découragerait-on la traite en légitimant la prostitution, cette forme d’exploitation humaine d’autant plus prisée par les clients prostitueurs que « l’offre » est diversifiée et « exotique » ?

Voilà pourquoi nous refusons de nous allier à ceux qui limitent leur combat à la seule lutte contre la traite. Lutter contre la traite, oui. Mais à condition de la dénoncer en même temps que le proxénétisme, sans quoi elle n’aboutit qu’à légitimer la prostitution.

Nous ne nous laisserons pas enfermer dans ce plus petit dénominateur commun. L’objet de notre combat est à la fois plus large et plus cohérent. Il porte sur le système prostitutionnel dans son ensemble. La traite en est un élément, une forme aggravée, souvent tragique. Elle n’en est pas la seule.