Atlanta : les femmes prostituées premières victimes du racisme et du sexisme

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Robert Aaron Long, 21 ans, a tué huit personnes le 16 mars 2021 à Atlanta et dans sa région, dont sept femmes. Six étaient d’origine asiatique, soit chinoise soit coréenne. L’auteur de ce meurtre de masse, un homme blanc, « fervent chrétien » et adepte des armes à feu, a opéré dans trois salons de massage.

La presse américaine a immédiatement posé la question d’un éventuel mobile raciste, le président Joe Biden lui-même disant juger « préoccupantes » les violences contre la minorité asiatique. Le représentant local de la communauté a ainsi souligné « une montée du racisme, des discriminations et une résurgence des violences » contre les personnes de cette origine, considérées « comme des boucs émissaires à cause de la pandémie » de COVID-19. « D’après les militants antiracistes, écrit Le Monde, le ressentiment a été alimenté par le discours de l’ancien président Donald Trump, qui qualifiait souvent le Covid-19 de « virus chinois ». »

Si la dimension raciste du crime est avancée, il ne faudrait pas en occulter le caractère profondément, on pourrait dire doublement, sexiste : haine des femmes, haine plus grande encore de celles qui sont prostituées. Ces dernières ont d’ailleurs toujours été les cibles désignées de nombreux tueurs en série[[[1] De Jack l’Eventreur à Robert Pickton, Samuel Little, Lonnie Franklin, Gary Ridgway, etc, etc.]], partout dans le monde.

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Se présentant comme un « obsédé sexuel » désireux de supprimer « une tentation », le meurtrier s’en est pris à sept femmes exploitées dans des « salons de massage », salons dont il aurait été « client », au moins pour deux d’entre eux. Asiatiques, femmes, et prostituées : trois motifs de haine pour un tueur qui pousse à son paroxysme le profond mépris pour des personnes qu’il s’estimait en droit de soumettre sexuellement contre paiement. L’hostilité que peuvent éprouver certains « clients » pour les femmes qu’ils payent est sans limite.

Payer pour satisfaire des fantasmes racistes

L’affaire fait grand bruit outre Atlantique et les réactions sont vives. Suzanne Jay, membre de Asian Women for Equality, basée à Vancouver, dit son peu d’étonnement et « se désole de voir qu’il faut souvent de tels meurtres pour que l’opinion réalise à quelle violence les femmes asiatiques sont exposées dans la prostitution ». Elle souligne que « ces dernières y sont surreprésentées, particulièrement dans ces salons de massage » et que la prostitution « renforce les stéréotypes les plus dommageables » les concernant, « en les sexualisant à outrance ». « Ces hommes paient pour que les femmes satisfassent leurs stéréotypes racistes et misogynes de femmes asiatiques soumises, exotiques ou hypersexuelles, dans un contexte où le manque de pouvoir des femmes n’est que trop réel » écrivent des représentantes de la même organisation.

Ces femmes sont mortes assassinées. Mais quelle a été leur vie ? Les « bordels de massage asiatiques » font des affaires florissantes malgré la pandémie, rappellent-elles, et les trois spas d’Atlanta (Gold’s Spa, Aroma Therapy et Young’s Asian massage), qui passent des annonces en ligne, « sont des lieux où les femmes asiatiques sont victimes de la traite à des fins de prostitution. » Des enquêtes policières y avaient été menées. L’un d’entre eux, Gold’s Spa, avait même fait l’objet d’arrestations. Le maire de San Francisco lui-même avait reconnu en 2006 que, bien que ces salons de massage soient autorisés, ils étaient « emblématiques d’un trafic sexuel asiatique en plein essor qui opère dans une quasi-impunité » : confiscation des passeports, servitude pour dettes, frais exorbitants pour la nourriture et le loyer, amendes infligées aux femmes si elles déplaisent aux acheteurs de sexe…

Récupération pro-prostitution

La présidente de la CATW, Coalition Against Trafficking in Women, Taïna Bien-Aimé, déclare elle aussi « ne pas pouvoir considérer cette tragédie comme une attaque isolée mais la voir comme probablement liée au commerce du sexe global dont les fondements reposent sur le racisme et la misogynie systémiques qu’alimentent les acheteurs de sexe ». Elle le martèle depuis des décennies : « l’achat de sexe n’est pas  un acte d’addiction mais bien l’expression d’un abus de pouvoir et d’une discrimination et d’une violence fondées sur le genre. »

Pourtant, comme à chaque tragédie, surgissent d’inévitables tentatives de récupération par le lobby de l’industrie du sexe. Il se trouve toujours des défenseurs de ce « commerce » pour suggérer de le libéraliser plus encore en dépénalisant les proxénètes, tenanciers et « clients » prostitueurs, sans souci des conséquences mortelles pour les femmes qui passent entre leurs mains. Les abolitionnistes américaines sont donc vent debout contre les velléités de ceux qui voudraient s’engouffrer dans la brèche. « Ces meurtres ne devraient pas servir à immuniser les hommes qui nous font du mal — les proxénètes, les acheteurs de sexe ou les trafiquants ne devraient en tirer aucun avantage. Nous devons plutôt abolir la pratique raciste et sexiste de la prostitution en offrant aux femmes de véritables alternatives pour échapper à l’oppression intégrée qui nous livre à des hommes comme Robert Aaron Long » écrivent les représentantes d’Asian Women for Equality. On ne saurait mieux dire.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.