Espagne : des bordels fermés pour cas de coronavirus

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Faut-il vraiment s’en étonner ? Les cas de personnes prostituées positives au coronavirus se multiplient dans les bordels, par exemple dans la région d’Alicante ou en Castille. Encore ne s’agit-il que des cas connus. La ministre de l’Egalité a donc demandé aux régions de procéder à la fermeture de tous les bordels. Mais on est loin du compte.

Depuis le déconfinement, fin juin 2020, 1 600 bordels ont pu fonctionner en Espagne, en toute incohérence avec les exigences de la distanciation et du masque obligatoire. Irène Montero, la ministre espagnole de l’égalité, a donc enfin jugé bon, le 21 août, d’adresser une lettre aux régions autonomes pour leur demander de prendre des mesures pour ces établissements, au même titre que pour les discothèques et bars de nuit, fermés depuis la mi-août.

La Catalogne, avec ses bordels usines de La Jonquera, et Castille-La Manche, qui concentre 80 % des « puticlubs » du pays selon le Women’s Institut, ont été les premières régions à réagir. Elles ont donc décrété la fermeture des bordels pour faire face à la pandémie, suivies par le Pays basque, l’Extrémadure et Murcie. Soit (à l’heure où nous écrivons) cinq régions sur les 17 que compte l’Espagne. Toutefois, il semble qu’au 1er septembre, seuls moins de 100 bordels aient fermé en Catalogne. Car la grande majorité des établissements proposant des actes prostitutionnels sont enregistrés sous une licence trompeuse, par exemple celle de l’hôtellerie, ou se trouvent dans l’illégalité, échappant ainsi au décret de fermeture.

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Le monde prostitutionnel étant celui de l’opacité et de l’escroquerie, aucun traçage n’est possible pour repérer les foyers de contagion. « Ne vous en faites pas, nous serons discrets », assurent les tenanciers aux « clients » inquiets, ainsi que le relève la presse espagnole. Les contaminations peuvent donc se poursuivre d’autant que les bordels déguisés poussent comme des champignons et que les fermetures ont poussé les proxénètes à déplacer les femmes. Selon Rocio Mora, directrice de l’Apramp, Association pour la prévention, la réinsertion et l’aide à la femme prostituée, les mafias auraient ces derniers mois transféré les femmes des zones industrielles vers des appartements de banlieue.

Si la mesure de fermeture semble de simple bon sens, les associations féministes ne comptent donc pas s’en contenter. Car si la ministre demande aux régions d’offrir aux femmes prostituées des « alternatives dignes », elle s’en tient à un ordre de fermeture seulement temporaire et hygiéniste. Elle-même dirigeante du parti Podemos et de sensibilité abolitionniste comme beaucoup de membres de son parti, elle n’est malheureusement pas suivie par ses instances dirigeantes pour décider de mesures plus résolues.

La cinéaste et militante Mabel Lozano lance un avertissement sur le sort de ces femmes pour la plupart sans papiers et sans alternative, abandonnées à leur sort par les proxénètes pendant le confinement, et donc affamées, ou nourries contre un sérieux alourdissement de leur dette. « C’est ainsi qu’ils les appellent : les femmes de la dette », explique-t-elle. Pour elle, fermer les bordels sans assortir cette décision de mesures durables d’accompagnement et de protection des femmes est absurde. Elles continueront d’être asservies dans des lieux moins visibles.

Le virus aura donc relancé le débat sur la prostitution, mais sans que les autorités en tirent toutes les conséquences. Comme le formulent les femmes du Parti Socialiste (PSOE), « les bordels sont des centres d’esclavage, non des sources de contagion. » Il serait temps, en Espagne comme ailleurs, de prendre les problèmes dans l’ordre.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.