Evénement sans précédent, pur moment d’histoire! Venues d’Afrique du Sud, d’Irlande, du Nigeria, du Congo, de Belgique et de France, des survivantes de la prostitution s’étaient rassemblées le 23 novembre en plein cœur de Paris. A la conjonction de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes et du mouvement #Metoo, elles ont saisi l’assistance par la force de leur parole. Après des siècles d’occultation, de complaisance, de grivoiserie, elles dénoncent la violence prostitutionnelle. Une date clé dans l’histoire de l’abolition.
Le 23 novembre 2018, l’Espace Jean Dame, dans le 2e arrondissement de Paris, accueillait le premier événement du genre en France : la réunion publique de survivantes de la prostitution venues de plusieurs pays, sous la houlette de CAP international, SPACE international, du Mouvement du Nid et d’Osez le féminisme !
Ashley Judd avait traversé l’Atlantique
pour marrainer cette soirée. Un acte fort pour l’actrice, autrice, militante féministe une des premières à dénoncer Harvey Weinstein, honorée à la Une du magazine Time avec d’autres « personnalités de l’année » sous le titre « Celles qui brisent le silence » en décembre 2017, et co-fondatrice du mouvement « TIme’s Up »[[ Time’s Up est un mouvement créé à la suite de #Metoo par des actrices de Hollywood pour lever des fonds pour aider les victimes à poursuivre en justice leurs agresseurs]]
Si toutes ces femmes ont choisi de venir à Paris, de s’exposer publiquement, c’est pour dire leur vérité, à chaud, sans intermédiaire, mais aussi pour livrer leur analyse politique et exprimer leur soutien à la loi du 13 avril 2016 : Rachel Moran, d’Irlande, Mickey Meiji, d’Afrique du Sud, Pascale Rouges et Maïté Lonne, de Belgique, Grace, du Congo, Magalie du Nigéria. Et de France Anne Darbes, femme trans dont nous avons publié le témoignage fracassant dans notre dernier numéro, et Rosen Hicher qui, on s’en souvient, a parcouru plus de 800 km à pied pour défendre le vote de la loi en 2014.
« L’abolition est inséparable du féminisme », a d’emblée rappelé Raphaëlle Rémy Leleu, porte-parole d’Osez le Féminisme (OLF), en posant l’enjeu fondamental que représente la prostitution pour l’ensemble des droits des femmes. Quant à Grégoire Théry, directeur de Cap international, il a évoqué en préambule l’actualité brùlante avec la QPC, question prioritaire de constitutionnalité déposée par les opposants à la loi d’avril 2016 dans l’espoir de voir la pénalisation des « clients » abrogée:« Si le Conseil Constitutionnel leur donne raison, c’est qu’en France imposer un acte sexuel par l’argent serait un droit garanti par la Constitution. »
Les survivantes ont alors, une à une, présenté leur témoignage : à chaque fois une preuve accablante de l’entreprise de démolition qu’est la prostitution.
Des viols dans l’enfance à la prostitution
Les convergences sont vite apparues, à commencer par le caractère inséparable de la prostitution des autres formes de violences sexuelles : viols, agressions, harcèlement sexuel! Maïté, victime de viol à 9 ans, Grace à 11 ans, Rosen, violée contre de petits cadeaux dans son enfance, Anne, née garçon et victime d’attouchements payés avec des bonbons, Rachel! Toutes ont dit l’abandon auquel elles ont été condamnées, y compris de la part des services de protection de l’enfance. Toutes ont souligné l’absence à soi, l’impossibilité de se défendre qui s’en sont suivies ; puis les tromperies des proxénètes, l’indifférence morale des « clients », voire leur haine et leur volonté de détruire.
Ni un travail, ni du sexe, mais du viol tarifé
La prostitution est apparue clairement comme une forme de viol tarifé. Maïté a d’ailleurs raconté comment son violeur, dans un restaurant désert, lui a jeté au visage une poignée de billets : sa « première passe involontaire ». Ainsi pensait-il sans doute blanchir son acte en le transformant en simple transaction commerciale. Difficile de faire plus clair sur la vraie nature du système prostitutionnel.
D’autres femmes qui ont connu la prostitution étaient dans la salle. Pas encore en mesure de parler publiquement, ce qui présente des risques et requiert un grand courage, mais désireuses de venir, par leur présence, apporter leur soutien.
Face au lobby proxénète, les femmes présentes ont pesé de tout leur engagement, de toute leur conviction. Rachel Moran a clos la soirée sur une déclaration politique : « il n’y a pas de « travail du sexe » mais des abus sexuels. Parler de travail donne une dignité à ces abus. Les relations sexuelles doivent rester hors du champ du capitalisme. »
Présentes à la manifestation « nous toutes » du 24 novembre
Mickey Meji et Rosen Hicher se sont jointes le lendemain au cortège abolitionniste qui a défilé dans la manifestation « Nous toutes », derrière une banderole sans appel : Prostitution = violence, #listentosurvivors, #ecoutezlessurvivantes
Revue de presse
En parallèle de l’événement, des journalistes ont rencontré les survivantes. Plusieurs articles ont été publiés (voir ci-dessous), et une interview exceptionnelle de Mickey Meji, qui a fondé en Afrique du sud le plus grand mouvement de survivantes du monde, Kwanele, qui veut dire « Assez ».
Un bel article dans Le Parisien
Violences faites aux femmes : les « survivantes » de la prostitution donnent de la voix
Un portrait de Magalie dans La Croix :
Après la prostitution, Magalie renaît à la vie
Un portrait de Grace dans Médias-Cité Toulouse :
Grace, survivante de la prostitution, témoigne