Sur le terrain, les enseignements de la crise sanitaire

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Chargée de la coordination nationale au Mouvement du Nid, Elen Rio travaille en partenariat très étroit avec les bénévoles et salarié·es des 26 délégations du Mouvement du Nid. Pendant le confinement et depuis, elle répond aux besoins de celles-ci, et recueille les informations les plus récentes sur leurs actions. Elle dresse ici un panorama de la situation des personnes prostituées depuis le déconfinement, le 11 mai. Une situation qui va encore évoluer avec le nouveau confinement. 

« Il y a des constats communs mais aussi parfois des constats différents selon les territoires. D’une manière générale, les délégations perçoivent beaucoup d’angoisse auprès des personnes accompagnées. C’était vrai pendant le confinement, où certaines ont souvent revécu de l’enfermement traumatisant, lié à des séquestrations ou à des périodes de détention qu’elles ont connues. Certaines ont même exprimé avoir revécu des moments de temps de guerre. Après le déconfinement, la peur du Covid-19 a persisté et poussé certaines personnes en situation de prostitution à ne plus vouloir être en hébergement collectif. À Toulouse, certaines femmes le disent carrément : « J’ai peur ».

Pour faire face à la situation pendant le confinement, les délégations ont reçu des aides exceptionnelles, notamment avec le partenariat noué avec la Fondation des Femmes, mais aussi avec d’autres associations pour fournir des produits d’hygiène ou avec les tickets services obtenus de la DIHAL. Ajoutons également l’Agence du Don en Nature qui a été un partenaire important pendant le confinement. Depuis la fin des aides exceptionnelles, toutes les délégations signalent que les personnes accompagnées sont pour beaucoup dans une très grande précarité. Certaines femmes n’ont pas de quoi manger.

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Dans certains territoires, les actions spécifiques de distribution alimentaire et de produits de première nécessité, ou l’hébergement d’urgence, mises en place depuis mars, ont rendu très concrète l’aide apportée par le Mouvement du Nid. L’association a su répondre à l’urgence, cela a renforcé un lien de confiance et permis de créer un lien avec des nouvelles personnes, d’entamer un accompagnement qui se poursuit aujourd’hui.

À d’autres endroits, cela a pu créer un rapport de dépendance qui n’existait pas auparavant. On ne réagit pas de la même manière lorsque la personne à qui on parle est celle qui vous donne de la nourriture. Pour certaines il a été plus difficile de s’exprimer, pour d’autres, cela a créé une attente. Or, les aides exceptionnelles ayant diminué à la fin de l’été, on ne peut plus forcément y répondre. Au risque de créer une incompréhension, alors que l’urgence sociale pour beaucoup de personnes concernées reste la même.

De nouvelles personnes contactent l’association

La crise sanitaire a aussi fait que nos délégations ont été contactées par des personnes qui ne le faisaient pas ou moins avant. Une jeune majeure française a, par exemple, contacté le numéro d’urgence de l’Ile-de-France, a pu être mise à l’abri avec le dispositif de la Fondation des Femmes, depuis, a pu passer en CHRS (centre d’hébergement et de réinsertion sociale) et continue aujourd’hui à être accompagnée par le Mouvement du Nid.

Des demandes de sortie de prostitution nouvelles

Dans de nombreuses délégations, il y a eu de nouvelles entrées en PSP liées au contexte sanitaire. Globalement, on enregistre des besoins supplémentaires et notamment la sortie de la prostitution. Le confinement a amené un « possible » qui justement avant ne l’était pas. Au total, les délégations constatent peu de retour à la prostitution de rue depuis le 11 mai, mais une autre organisation s’est mise en place (appartements, etc).

En revanche, le confinement a mis en évidence s’il en était besoin que la question de l’hébergement est cruciale pour espérer sortir de la prostitution (voir pages 12-13 et notre dossier « un toit pour toutes » dans le précédent numéro). Ainsi, encore une fois, pour certaines, être hébergées en collectif est devenu insupportable. Et il n’y a pas suffisamment de solutions. Le retour à la prostitution après le confinement, non souhaité, vient ici d’une carence institutionnelle et de l’insuffisante application de la loi du 13 avril 2016.

Plusieurs délégations constatent qu’il est devenu, depuis le déconfinement, terriblement difficile de joindre les institutions. À Toulouse, nous faisons face à un phénomène de non réponse institutionnelle, en particulier pour le droit au séjour. Les personnes ne peuvent plus être accompagnées en préfecture, cela rend donc plus complexes les renouvellements de titres. Souvent, les plateformes à distance buggent. En Ile-de-France, une personne qui devait intégrer un parcours de sortie, faute d’obtenir son Autorisation provisoire de séjour, a été sortie du dispositif, pour ne pas lui faire perdre du temps. De nombreuses délégations disent que beaucoup de personnes prostituées se voient notifier des OQTF (obligations de quitter le territoire). Certaines seraient même ramenées à la frontière en voiture. Une situation qui est inacceptable pour des femmes victimes de violences à qui la France doit protection et assistance ! Les demandes de bénévolat explosent On le constate en délégation comme au niveau national via les demandes qui parviennent sur notre site. Il y a une recrudescence des demandes de bénévolat. Ce sont des personnes qui ont connu l’association ou pris conscience à l’occasion de la crise qu’elles pouvaient aider les plus vulnérables. Localement, les dynamiques d’équipe sont différentes. Plusieurs équipes nous disent que le lien avec les personnes accompagnées, mais aussi entre bénévoles en a été renforcé.

De nouveaux partenariats, de nouvelles pratiques qui perdurent

Le confinement a permis de développer des partenariats au niveau local, qui perdurent aujourd’hui. Dans l’Hérault, il y a même eu l’émergence de partenariats avec des associations pour que les personnes en PSP puissent faire elles-mêmes du bénévolat. En Martinique, une énergie inter-assocative formidable a été déployée pour venir en aide à des centaines de personnes accompagnées qui étaient très isolées. Dans l’Hérault, encore, la nouvelle déléguée aux droits des femmes a pris son poste en mars, elle a mis en place une veille hebdomadaire des relais inter-associatifs mis en place. Cela a fortement renforcé les liens et facilité le travail.